Deux Minutes – Coralie Bru

Autant être claire et transparente dès le début : pour ceux qui ne le savent pas, Coralie Bru est une de mes amies, nous nous sommes rencontrées lors du Grand Prix ELLE 2014 où nous étions toutes les deux membres du jury, et nous enregistrons ensemble le podcast littéraire mensuel « Bibliomaniacs » avec Laure et Marjorie.

Coralie m’a fait confiance pour faire partie des premiers lecteurs de sa version finale de « Deux Minutes » et pour lui faire part de mes commentaires et critiques éventuels. (Pour tout vous dire, je figure dans les remerciements à la fin du livre…) Cela m’a bien entendu fait plaisir, même s’il y a toujours la crainte d’être confrontée à un roman que l’on ne va pas aimer et de devoir ensuite l’annoncer à son auteur, ou alors d’être obligée de mentir éhontément!
Heureusement, cela n’a pas été le cas avec « Deux Minutes », que j’ai beaucoup aimé !  Et je n’aurais surtout pas voulu me priver d’écrire un billet sur ce roman simplement parce que je connais Coralie – même s’il était important d’être transparente sur ce fait.
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Coralie Bru

Lise est ravie de passer l’après-midi avec Léo, son fils de quatre ans. Et quelle meilleure idée que d’aller au parc juste en face de chez eux, puisqu’il fait beau? Quand il commence à faire froid, Lise veut aller chercher une veste, mais Léo insiste pour rester jouer au parc…Alors, Lise accepte l’offre d’une autre maman qui lui propose de surveiller Léo quelques minutes, juste le temps de traverser la rue, monter à son appartement attraper un manteau et revenir. Mais quand Lise revient, deux minutes plus tard, la femme et son bébé ont disparu… et Léo également.

Cela commence comme un thriller, mais cela n’en est pas un. Vous n’allez pas frissonner pendant 200 pages en vous demandant si Léo va bien ou s’il a été découpé en rondelles par une psychopathe, puisque Léo va être retrouvé – l’enquête n’est pas le sujet du livre. « Deux Minutes » commence en fait, là où les autres romans se terminent. Que se passe-t-il ensuite, dans la cellule familiale? Léo n’a pas été enlevé dans la nuit par un kidnappeur entré dans sa chambre par effraction, c’est Lise, sa propre mère qui a pris la mauvaise décision, au mauvais moment, avec la mauvaise personne. Confier son enfant un bref laps de temps à une inconnue même si elle a l’air avenant, même si elle est accompagnée de son propre enfant, n’est effectivement pas la meilleure idée du monde, mais en théorie, dans 99,99 % des cas, quand Lise serait revenue deux minutes plus tard, elle aurait retrouvé son fils jouant tranquillement sous la surveillance de l’autre maman et n’y aurait même plus pensé le soir venu. Mais cette décision, pas anodine mais pas si grave que ça, ces deux petites minutes de rien du tout, ont complètement bouleversé la vie jusque-là paisible de la famille – et même si Léo est retrouvé rapidement, sain et sauf, il est difficile de passer à autre chose, d’oublier la décision de Lise, de ne pas penser aux choses bien plus graves qui auraient pu se produire.
Comment retrouver la confiance de son conjoint qui, tout aimant qu’il soit, ne peut pas s’enlever de la tête que Lise a mis son fils -leur fils – en danger? Comment retrouver une relation normale avec son fils quand on vit avec la culpabilité de cette nonchalance? Comment se reconstruire se disant qu’on sera toujours stigmatisée  -dans la famille, dans le quartier, au bureau-comme la mauvaise mère qui a confié son fils de son plein gré à une folle?

J’ai été bluffée par la justesse de ce livre, tant au niveau psychologique, qu’au niveau des situations et des dialogues. Il est facile d’imaginer les lieux décrits, tout sonne juste, que ce soit les conversations avec les parents, les mimiques de Léo, la situation de gêne et de plaisir mêlés quand on revoit une ancienne camarade d’école à qui on n’a plus grand chose à dire mais avec qui il existe encore une familiarité qui fait du bien. Et puis il y a ces expressions, ce vocabulaire qui fait mouche et parfois sourire tant c’est bien trouvé, cette maîtrise de l’oralité dans les conversations…

« Tu es allé vers le bateau mais pas vers chez nous alors. »
« Non, elle s’est trompé de côté. Je lui ai dit qu’elle se trompait de
côté !!!!!!! »
Maintenant, se souvenir de cela l’agace. Il a dû réserver quelques regards passablement irrités à sa ravisseuse. Il lui a bien dit qu’ils partaient dans le mauvais sens.
Au repas, sa mère cherche à avoir des nouvelles de
Lucie, plutôt à confirmer ce qu’elle sait déjà. Lise ne sait pas grand-chose.  De quoi ont-elles pu parler ? 
Ses
deux mains triturent un torchon mais, un peu impatiente, elle finit par le jeter en boule sur
le plan de travail. Il y a anguille sous roche. Sa jeune voisine en sait plus
qu’elle, Lise s’est confiée, et voilà : l’heure où les mots sont sortis
pourrait bien être passée, sans qu’elle ait pu être sur leur chemin. Cette
réalité a  l’air de la blesser, comme si
elle avait été disqualifiée sur une mauvaise décision de l’arbitre. Elle trouve
cela vraiment injuste. Voir sa fille comme ça, imaginer qu’elle leur a
rendu visite et que rien n’en sorte, qu’ils la laissent- et dès le lendemain en
plus !-  partir comme elle est
venue. 


« Je ne sais pas comment je réagirais à ta place. On en a parlé avec
Nadia en fait, tu sais. »
Lise rabaisse ses mains pour lui accorder une attention plus grande encore.
« Oui. Elle m’assure que ça n’aurait pas pu lui arriver. »
Lise baisse les yeux sur la table pour masquer la blessure que provoque à
chaque fois une telle assertion, mais Arnaud se rattrape tout de suite.
« Je sais que ça peut arriver à n’importe qui. Mais elle, rien à faire.
Elle dit qu’elle est trop parano. »
Lise, compréhensive, approuve. Tous les deux s’arrêtent de parler à l’approche du serveur.
« Nadia est très fusionnelle, elle ne laisse jamais les enfants. »
« Ils ne sont pas scolarisés, alors ? » sourit Lise.
« Si. Mais tu vois. »
« Elle ne travaille pas ? »
« Si. Elle a repris le travail récemment. Arrête, tu sais bien. Mais
c’est vrai qu’elle a un truc… »
Il ouvre ses mains comme pour presser deux grosses oranges, mimant une
poigne ferme et solide, puis les porte à son ventre, ou son cœur, ses poumons,
sans doute manière de dire que ce dont il parle est de l’ordre du viscéral. Il
finit par ne plus savoir ce qu’il veut réellement signifier et reprend ses
couverts.
« Je ne sais pas. Un truc qui la tient… Il y a un truc qui la tient
toujours en éveil, toujours à les surveiller de très, très près. »

 

Elle se demande si Romain à son sujet aurait les mêmes gestes. 




« C’est important de se soutenir », lui dit son père. « Moi…Bon
c’est pas pareil. Mais quand ta sœur a eu son accident. » (Mais non, c’est
pas pareil ! tempère sa mère mais son père continue : ) « C’est pas pareil
c’est sûr, mais il faut être solide et puis attendre. « (C’est pas pareil !
répète sa mère.) »Non, c’est pas pareil ! C’est pas pareil mais c’est une
situation où on ne SAIT pas, et c’est ça qui est terrible non, de ne pas savoir
? Alors si ! C’est un peu pareil !Il a haussé le ton et sa mère pleure de plus
belle. »
« Oui ». dit Lise.

 

Il a comme souvent compris le problème.





Vous l’aurez compris, je ne pense pas être aveuglée par mon amitié pour Coralie Bru et je trouve que son roman « Deux Minutes » est excellent! Il est fin, juste, bien écrit, et c’est un vrai plaisir que de le lire. Je ne peux donc que vous le recommander chaudement.

Pour vous le procurer c’est ici. Il existe en format kindle et en version papier.

Publié le 13 Juin 2015, sur Amazon, 212 pages.

11 commentaires sur “Deux Minutes – Coralie Bru

  1. Je ne lis ton billet qu'en diagonal car je vais bientôt écrire le mien, mais j'ai eu un coup de coeur aussi pour cette lecture (que j'avais aussi peur de ne pas aimer 😉 et j'ai vraiment été touchée par le personnage de Lise!

  2. Oui, c'est un excellent livre !
    Ce texte montre beaucoup de finesse, de psychologie, de profondeur d'analyse…Le personnage, Lise, est hypersensible aux réactions plus ou moins maladroites des son entourage. Sa culpabilité, ses doutes, son introspection, son questionnement sur son rôle de mère sonnent tellement juste que je me suis demandé si l'auteur n'avait pas vécu une épreuve similaire…( moi, je laissais bien ma jolie fillette de 7, 8 ans bouquiner toute seule au rayon des livres pendant que je faisais mes courses dans le supermarché-il y a 25 ans- A présent,je le déconseillerais à quiconque !)La sensibilité et la finesse de Lise nous renvoient à celles de l'auteur, dont je dois souligner le style : elle s'exprime dans une langue élégante, d'une plume délicate et légère qui rend la lecture très agréable.
    J'ai adoré ce roman, auquel je souhaite un bel avenir.

  3. @ Monique : je suis ravie que le livre de Coralie vous ait plu ! j'espère aussi qu'il aura un bel avenir, car ce roman vaut vraiment le coup d'être lu, pour toutes les raisons que vous évoquez, et l'auteur est très talentueuse ! (mon oreillette me dit qu'un nouveau roman est en cours d'écriture!)

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