Quasiment un an après sa sortie, il était temps que je lise « L’Amour et les Forêts » d’Eric Reinhardt, qui a obtenu un beau succès public et de nombreux prix, notamment le Renaudot des Lycéens.
;
Le sujet de « L’Amour et les Forêts » est plutôt percutant puisqu’il raconte la rencontre entre Eric Reinhardt et une de ses lectrices, Bénedicte Ombredanne, professeur de lettres à Metz, qui lui écrit une très belle lettre d’admiration après avoir été touchée par un de ses romans. Lorsqu’ils se rencontrent à Paris, elle se confie à lui : son mari, jaloux pathologique et pervers narcissique la harcèle au quotidien et lui mène la vie impossible. Dans un moment de rébellion, Bénedicte s’est inscrite sur Meetic, où elle a rencontré un homme avec qui elle a passé une après-midi idyllique. Pourtant elle ne peut se résoudre à quitter son mari qui, depuis l’aveu de son adultère, la harcèle encore plus…
;
Eric Reinhardt décrit très bien l’enfermement de cette femme dans un quotidien insoutenable, cette chape de plomb qui s’abat quand le mari est là, les changements d’humeur, les reproches, les insultes, les enfants qui au fur et à mesure sont contaminés par l’esprit paternel…Bénedicte, malgré un métier qui la met en contact avec de nombreuses personnes – elle est professeur – tait ses problèmes et n’a pas d’amis à qui se confier, n’arrive pas à partager sa souffrance même avec sa famille dont elle est pourtant proche. L’auteur sonne très juste lorsqu’il relate les mensonges, les petites respirations que Bénedicte arrive à se créer pour avoir un minimum de vie privée, en envoyant des messages uniquement de son lieu de travail et en cachant des objets qui lui sont chers dans son casier. J’ai aimé aussi cet épisode de l’hôpital psychiatrique, qui pourrait être très sombre, mais qui, au contraire, est un moment où Bénedicte peut enfin souffler et discuter avec des gens qui la comprennent et qui la soutiennent. Un témoignage m’a fait frémir, celui de la jeune femme harcelée depuis des années par un fou, dont l’histoire est absolument glaçante. Eric Reinhardt montre très bien cette machine infernale qui va détruire Bénedicte à petit feu, une femme pourtant intelligente, cultivée, ayant une famille et un bon travail, coquette et prenant soin d’elle, qui va sombrer dans la déchéance.
Quant au mari, cet homme infect, qui n’a pas d’amis, qui est détesté dans le cercle professionnel et méprisé dans le cercle familial, qui est ignoble avec sa femme, sans aucun moment de tendresse ni de demi-mesure, pourquoi s’effondrait-il en larmes en écoutant une émission de radio qui parle du harcèlement, comme un homme au bon fond qui se désole d’être tombé aussi bas.Ces scènes ne m’ont pas semblé plausibles et cohérentes, comme si elles appartenaient à d’autres histoires, et avaient été plaquées sur ce récit. C’est dommage car cela m’a empêchée d’adhérer totalement à « L’amour et les forêts » d’Eric Reinhardt, que j’ai par ailleurs beaucoup apprécié. C’est en tout cas un livre fort et marquant, et à lire, malgré ces quelques défauts.
NB : A noter cet article de l’Express qui relate que la personne dont Eric Reinhardt s’est inspiré pour écrire « L’amour et les forêts » le met en cause pour atteinte à la vie privée et contrefaçon...
.
Publié le 21 Août 2014 chez Gallimard, 368 pages.
.
En lisant ton billet, je me disais "Non, il n'a quand même pas utilisé la vie privée d'une femme réelle"… et si ! Conclusion : ne jamais raconter sa vie à un écrivain 🙁
J'ai beaucoup aimé ce livre et ce que tu présentes comme incohérents ne pas pas gênée. Pour ma part, je me demande si cette rencontre sur Meetic n'est pas un rêve de Bénédicte (et non Béatrice ;-), une sorte de fantasme qui lui permettrait de supporter le réel.
Quoi qu'il en soit, c'est un très beau livre à l'écriture d'une extrême précision.
J'ai énormément aimé ce roman et je crois que c'est parce que les deux points critiquables que tu relèves ne m'avaient pas gênée dans ma lecture. Toutefois, en te lisant, je me dis maintenant que tu as complètement raison dessus.
Je vais aller lire l'article car je n'avais pas suivi la polémique autour de ce livre.
La fin horrible ( et je me demande si elle n'est pas exégérée) m'a littéralement assomée
Il m'attend toujours… Bizarrement il me tente de moins en moins…
@Noukette : j'ai mis beaucoup de temps avant de me lancer dans cette lecture, qui me faisait peur!
@Clara : oui la fin est vraiment horrible, il n'y a aucune lueur positive ou d'espoir!(et effectivement cela me semble exagéré, et pas vraiment compatible avec cette scène de l'homme qui pleure)
@Fleur: avant de tomber par hasard sur cet article, je n'en avais pas entendu parler non plus!
@Delphine Olympe : argh, oui c'est Bénedicte, désolée! en plus je l'ai écrit 10 fois dans le billet^^ mais depuis le début j'ai un problème avec le nom de cette femme! l'idée m'a également traversé l'esprit que cette rencontre est en fait un fantasme de l'homme qui va la sauver…
@Margotte : je suis arrivée à la même conclusion que toi…je dirais même à un artiste de façon générale!
Un très bon livre! Mais comment m'extasier sur le talent de l'auteur en lisant qu'il est attaqué pour atteinte à la vie privée et contrefaçon par la jeune femme dont il aurait utilisé les confidences, voire les écrits ? Même si éventuellement la Justice la déboutait, je pense que E.R.aurait pu avoir l'élégance de mieux brouiller les pistes et surtout d'avertir l'amie en question…De plus, le début, qui repose sur le récit de l'héroïne, est parfois, comme vous l'écrivez, peu vraisemblable, et bien moins puissant que la fin ! Dommage …Cette affaire lamentable a gâché mon plaisir.
@ Anonyme : a priori il n'a pas encore été jugé donc présomption d'innocence, mais c'est vrai que ce fort soupçon gâche le plaisir de lecture car il met en doute l'honnêteté de la démarche voire même le talent de l'écrivain…et le respect de la vie privée passe quand même selon moi avant le fait d'avoir écrit un bon livre…