La Zone d’Intérêt – Martin Amis

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« La Zone d’Intérêt » de Martin Amis a beaucoup fait parler de lui lors de cette rentrée littéraire. Bien sûr, Martin Amis est un écrivain britannique reconnu, et toute nouvelle parution est mise en avant dans les médias, mais c’est surtout parce que la maison d’édition française habituelle de l’auteur, Gallimard, a refusé de publier ce roman – tout comme son éditeur historique allemand, et c’est finalement Calmann-Levy qui l’a récupéré. Une réputation sulfureuse entourait donc ce livre, mais qu’en est-il vraiment?
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L’histoire de « La Zone d’Intérêt » nous est racontée par trois narrateurs : Paul Doll qui est le commandant du camp, un homme alcoolique et manquant de finesse, un coureur de jupons qui souffre d’être repoussé par sa femme, la belle Hannah ; un jeune fonctionnaire nommé Angelus (Golo) Thomsen, lui aussi coureur de jupons, qui tombe très amoureux d’Hannah ; un détenu juif qui est à la tête du Sonderkommando, Szmul. Szmul est là pour donner la parole aux victimes, et notamment celles qui ont été utilisées par les Nazis pour participer à leur processus de tuerie massive et industrielle, puisque Szmul, déporté juif, devait veiller à ce que ses coreligionnaires se dirigent sans encombre et sans révolte jusqu’à la chambre à gaz, en déposant  leurs affaires bien comme il le fallait, puis organiser l’élimination des corps. Szmul est donc tiraillé entre participer pour pouvoir vivre encore quelques jours voire quelques semaines, et son dégoût d’être un rouage de la Mort.Anouar Benmalek en parle très bien dans son roman « Fils du Shéol » par l’intermédiaire de son personnage Manfred, et le film « Le Fils de Saul » est également édifiant sur ce sujet. C’est lui qui exprime la réalité du camp, et son horreur; Mais Szmul n’est qu’un personnage secondaire puisque la trame principale est basée sur les considérations frivoles et les histoires amoureuses des employés du camp, et notamment le triangle amoureux entre Paul Doll, Golo Thomsen et Hannah Doll.
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Je comprends tout à fait le parti pris de Martin Amis, je suis convaincue que beaucoup de Nazis qui participaient à l’organisation des camps de concentration continuaient à vivre de façon tout à fait normale, à tomber amoureux, à avoir des liaisons, à avoir une vie sociale, à organiser dîners et événements, à rentrer chez eux tranquillement le soir après avoir tué ou contribué à tuer des milliers de personnes. Robert Merle en parlait dans « La mort est mon métier », mais la grande différence est que son personnage principal était un homme très sérieux, alors que ceux de Martin Amis sont très souvent futiles et grotesques.
Je pensais même qu’Amis irait encore plus loin dans sa démarche en n’évoquant pas du tout les camps et la mort des déportés, comme si la vie de ses personnages y était complètement extérieure. Ce n’est ici pas le cas, il y a des interactions entre les personnages principaux et les déportés ainsi que des interrogations chez certains Nazis, notamment dans le cadre de l’installation dans les camps ou à proximité de grandes sociétés industrielles allemandes, qui utilisaient les déportés  : un se demande pourquoi on en veut tant aux Juifs, un autre se pose des questions logistiques : quel est l’intérêt d’utiliser tant de ressources tant humaines que matérielles pour tuer des Juifs? et pourquoi les affamer alors qu’en les nourrissant mieux on pourrait les utiliser comme main d’oeuvre beaucoup plus efficace? D’autres comme Golo Thomsen se préoccupent bien peu du nazisme et ne s’intéressent qu’à leur vie personnelle.
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« La Zone d’Intérêt » aurait donc pu être un excellent roman…s’il avait été mieux écrit. En effet, il ne m’a absolument pas choquée au niveau du parti pris mais cela ne m’a pas empêchée de le trouver relativement fastidieux et ennuyeux. Difficile de s’attacher à des personnages aussi peu intéressants, et d’accrocher à des récits difficiles à suivre : j’ai eu l’impression en lisant les passages racontés par Paul Doll d’être en face d’une caricature de Nazi allemand dans des films comiques : gros porc rougeaud et suant, ponctuant ses phrases de « ach », et de considérations imbéciles en allemand ( ce qui ne doit pas faciliter la lecture des non-germanophones), sans parler des « un » écrits « 1 », ce qui a eu le don de m’énerver.. C’est vraiment dommage, car s’il avait créé des personnages plus complexes, moins grossiers, Martin Amis aurait pu livrer ici une oeuvre intéressante et originale. J’ai néanmoins trouvé le dernier chapitre plutôt fin, avec un dialogue très intéressant entre Golo et Hannah.
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 « La Zone d’Intérêt » de Martin Amis aurait pu être un roman percutant sur la banalité du mal. Malheureusement, si le parti pris de l’auteur m’a intéressée, je suis déçue qu’un écrivain aussi talentueux ait pu créer des personnages caricaturaux et peu profonds, rendant le récit plutôt pénible et ennuyeux. Dommage.
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Publié le 19 Août 2015 aux Editions Calmann-Levy, traduit par Bernard Turle, 400 pages.
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12 commentaires sur “La Zone d’Intérêt – Martin Amis

  1. J'en ai effectivement parlé, mais j'ignorais qu'en plus du thème, c'est également au niveau du style et de la profondeur qu'il pêche ! Bref, tu as fini de me convaincre de passer tranquillement mon chemin 😉

  2. @ Marie-Claude : je ne pense vraiment pas qu'il te plairait…
    @ Féli : au pire, si tu as l'occasion de l'emprunter, tu pourras te faire ton propre avis à moindre coût…
    @ Electra: je n'ai aucun problème avec le thème ni avec le parti pris, c'est vraiment le style et les personnages qui m'ont déçue

  3. @ Valérie : je ne doute pas de la sincérité de l'auteur, mais la présentation qui en a été faite dans les médias était très orientée "buzz" en effet…

    @ Titine : ce n'est pas son meilleur, à l'évidence…

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