Histoire de la Violence – Edouard Louis

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Comme beaucoup, j’ai découvert Edouard Louis avec son premier roman « En finir avec Eddy Bellegueule », la vie d’un adolescent surdoué et homosexuel dans un milieu white trash à la française. Il nous revient avec un deuxième ouvrage, toujours d’inspiration autobiographique, sur une agression dont il a été victime une nuit de Noël.

En revenant chez lui après une soirée de Noël entre amis, Edouard rencontre Reda, un jeune homme de son âge qui le drague, et accepte de le faire monter dans son appartement. Mais la nuit, qui avait pourtant commencé très agréablement, tourne quelques heures plus tard radicalement au drame : Reda vole Edouard, le frappe, le viole, le menace, et tente de le tuer. Edouard raconte cette nuit de violence et de folie, mais avec une construction particulière : la narration d’Edouard, qui n’est pas chronologique, se mêle à celle de sa sœur Clara, chez qui il est venu passer quelques jours, qui rapporte les faits à son mari, tandis qu’Edouard l’écoute de la pièce à côté, et fait en pensée des incursions dans son récit.
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Edouard Louis
Edouard Louis m’a encore une fois bluffée par son écriture. Il a un immense talent pour disséquer les émotions, les sentiments, les processus psychologiques et, comme Elena Ferrante, traduire en termes simples des choses complexes. « Histoire de la Violence » est ainsi parsemé de phrases qui font mouche sur la relation qu’il entretient avec sa sœur ou son attitude face au drame. Analyse du déroulement des faits, de sa relation à l’agresseur, de ses réactions, de ses échanges avec ses amis pour raconter ce qu’il lui est arrivé, de son début de résilience… tout est parfaitement décortiqué et maîtrisé. Psychologiquement parlant, le récit est d’ailleurs très intéressant, notamment quand il aborde, sans le nommer, le syndrome de Stockholm ou l’emprise dont il était victime et qui l’empêchait d’essayer de s’échapper du huit clos de son appartement. Comme lorsqu’Eddy était victime de harcèlement à l’école et que ses agresseurs devenaient les personnes les plus importantes de son univers, il devient ici le seul à avoir connu Reda directement, et donc de facto le seul à ses yeux légitime pour parler de lui, et il se retrouve à le défendre devant ses amis, à presque prendre son parti lorsque les amis d’Edouard lui disent que l’acte était prémédité, et que Reda lui a menti sur sa famille voire même sur son nom. Sans doute parce qu’avant l’agression, Reda et lui avaient partagé de l’intimité, des informations sur leur vie, leur famille, des moments tendres, et que tout ceci avait eu lieu dans un environnement familier, il est difficile pour Edouard de prendre du recul émotionnel vis à vis de son agresseur, ce qui aurait été sans doute différent si l’agression avait eu lieu dans un lieu neutre, par une personne anonyme, et non précédée de moments intimes. Au delà du récit de l’agression, il y a également de très belles pages sur l’amitié, Edouard étant très entouré par une petite bande d’amis qui l’épaule et le soutient, une sorte de famille qu’il s’est reconstitué à Paris, bien loin de sa vraie famille biologique.
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Le choix de l’auteur de partir sur une narration à trois niveaux – le récit d’Edouard, celui de sa sœur, les interventions d’Edouard dans le récit de sa sœur – , dont une narration ne respectant pas la chronologie, est excellent, déjà parce que cela donne un vrai relief au récit, une profondeur que n’aurait peut-être pas eu une narration « simple », c’est-à-dire Edouard nous racontant ce qu’il lui est arrivé, de la rencontre dans les rues de Paris, jusqu’à la reconstruction après le drame. Le fait de faire raconter son agression par sa sœur montre aussi à quel point une histoire ne nous appartient plus lorsqu’elle est racontée par un tiers, entre la perte d’informations et le passage par un filtre personnel qui va orienter certains passages, mettre en avant certains faits, en occulter d’autres… Même si la veine est autobiographique, on est ici, avec « Histoire de la Violence », loin du document-témoignage, mais face à une vraie oeuvre littéraire.
Malheureusement, j’ai été gênée par la narration de Clara, la soeur d’Edouard. En fait un des attraits de cette double narration repose sur le fait que Clara soit une personne qui n’a pas fait beaucoup d’études et n’a jamais quitté son petit village de Picardie. Elle parle donc une langue plutôt populaire qui contraste fortement avec celle d’Edouard. Sauf que j’ai trouvé cette langue très artificielle, je ne l’ai pas entendue une seconde dans ma tête, ni dans les tournures de phrase ni dans le vocabulaire employé. Je pense vraiment qu’Edouard Louis est désormais trop loin de son milieu natal pour le faire parler tel quel, et que le résultat sonne du coup très faux.  Cela a vraiment perturbé ma lecture, d’autant plus que Clara parle énormément dans ce récit.
Cette artificialité dans le langage est un bémol non négligeable, qui m’a empêchée de voir en « Histoire de la Violence » d’Edouard Louis une parfaite réussite littéraire, même si tout était réuni pour que ce soit le cas. C’est dommage car le récit est extrêmement profond et admirablement maîtrisé, psychologiquement très riche, et la construction du récit est vraiment audacieuse. « Histoire de la Violence » est donc à mes yeux un excellent livre, mais qui aurait mérité d’être peaufiné – ce n’est par conséquent pas un coup de cœur, mais quand même un roman incontournable de la rentrée de Janvier.
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Publié le 7 janvier 2016 aux Editions du Seuil, 229 pages.
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12e participation au Challenge Rentrée Hiver 2016 organisé par Laure de MicMelo
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15 commentaires sur “Histoire de la Violence – Edouard Louis

  1. Comme toi, j'ai beaucoup apprécié le premier texte d'Edouard Louis. Malheureusement, la surmédiatisation de l'auteur, suite d'abord aux Rendez-Vous de l'Histoire boycottés par sa Seigneurie puis aujourd'hui, les conséquences de ce deuxième texte très autobiographique sur le Reda en question qui nie les faits, me font l'apprécier de moins en moins, voire pire… en tout cas, sa très désagréable personnalité de petit génie éloigne de moi ce texte.

  2. J'avais lu En finir avec… et je n'ai pas franchement envie d'y retourner. J'avais trouvé ce livre intéressant, mais il me semblait qu'il avait besoin de se détacher désormais de son histoire pour aller vers autre chose, affirmer son talent en s'affranchissant de son passé. Or j'ai l'impression au contraire qu'il reste enfermé dans son passé.

  3. Je n'avais pas entendu parler de ce livre jusqu'à tomber par hasard sur son avocat venu défendre ce roman "fiction" après la plainte déposé par un homme (actuellement détenu) qui prétend être ce Reda et réfute tout en bloc.
    J'avais aussi lu son premier roman, très violent en soi.

    Je te fais confiance sur son style, la construction mais j'avoue (même si je trouve ça horrible ce qui lui est arrivé) être dérangé par le discours de son avocat (qui dit que c'est la vérité mais que ça reste une fiction?) bref, j'aurais aussi préféré un roman tout autre. Mais bon, certains auteurs comme Angot ne savent écrire que sur leur propre vie.

    Pour le langage, je n'ai pas réussi à apprécier un roman à cause du langage donc là ton bémol est très rédhibitoire pour moi !
    Bon dimanche

  4. Même si je n'aime pas du tout la personnalité et l'autosuffisance d'Edouard Louis cela ne m'a pas empêchée de beaucoup aimé ses deux livres, je trouve qu'il a une maturité littéraire indéniable et j'ai trouvé le processus narratif très intéressant pour faire le lien avec ses origines.
    Mais j'espère vraiment qu'il va passer à la fiction dans son prochain livre et quitter ce côté Christine Angot.

  5. Il doit y avoir quelque chose de malsain dans ses histoires, non? Le fait qu'il raconte des expériences aussi personnelles et traumatisantes, qui lui sont réellement arrivé, me gêne un peu à vrai dire. C'est un peu comme s'il s'étalait à cœur ouvert face à ses lecteurs. Bref, pas spécialement attirée vers le travail de cet auteur, mais s'il change un jour de registre, pourquoi pas car apparemment, sa plume vaut le détour.

  6. @ Laeti : d'habitude je n'aime pas trop les auteurs qui parlent d'eux mais avec lui je fais une exception

    @ Joëlle : ah c'est bizarre je ne l'ai jamais trouvé auto-suffisant … Mais moi aussi je l'attends sur la fiction

    @

  7. @ Electra : j'ai lu quelques articles sur le procès intenté par le fameux Reda et cette histoire est tres bizarre … En tout cas je n'ai pas l'impression que ce soit de la fiction ni que ce soit cet ouvrage qui ait fait arrêter cette personne ou qui lui ait porté préjudice

  8. @ Delphine : il faut dire qu'il lui est arrivé beaucoup de choses … Mais moi aussi j'ai envie qu'il sorte de l'autobio pour voir ce qu'il vaut au niveau fiction

    @ Papillon : oui c'est vrai qu'il fait polémique mais Eric Reinhardt aussi 😉

    @ Tant qu'il y aura des livres : si je n'avais pas déjà lu l'auteur j'aurais certainement fait l'impasse sur ce livre car le thème me faisait un peu peur …

    @ Sandrine : c'est marrant je n'ai pas du tout cette impression le concernant … Quant à cette nouvelle polémique je la trouve complètement ridicule

    @ Clara : oui la construction est un vrai argument pour lire ce livre

  9. Pour ma part, ce n’est pas sa manière de parler qui me gêne, mais le fait que finalement, elle n’est que le porte-voix de l’auteur. Ce qui est gênant, c’est que cette sœur, en réalité, n’existe pas alors qu’Edouard Louis dit qu’il n’y a pas une ligne de fiction dans son livre. Le procédé (il répète les propos de sa sœur racontant son histoire à son mari, perçus à travers une porte) est particulièrement tiré par les cheveux et quand sa « sœur » dit quelque chose qui ne va pas dans son sens, il précise à l’intention du lecteur : « ce n’est pas vrai. »
    Je serais prêt à parier qu’il ne passera jamais à la fiction. J’ai l’impression qu’il veut utiliser ses livres pour prouver quelque chose.

    J’ai aussi écrit une critique de Histoire de la violence sur mon blog Xyloglosse.

    1. j’ai également du mal à l’imaginer écrire de la pure fiction… En ce qui concerne la sœur du livre, je ne sais pas si elle existe ou pas – je sais qu’il a deux soeurs, une plus âgée et une plus jeune (aucune des deux ne s’appelant Clara) mais je pense en effet que c’est plus une construction littéraire que la retranscription de scènes réelles.

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