J’avais découvert Sylvain Tesson il y a 18 mois avec la lecture de Berezina, qui racontait son périple Moscou-Paris en moto avec side-car de 2012 , reproduisant le trajet suivi par Napoléon en 1812. Depuis ce voyage, la vie de Sylvain Tesson a beaucoup changé, ce qu’il évoque dans son dernier livre « Sur les chemins noirs » : en 2014, l’écrivain-voyageur, qui escaladait un bâtiment en état d’ébriété, a fait une chute de dix mètres – il s’en sort vivant, mais après quatre mois d’hôpital, « le sang d’un autre dans les veines, le crâne enfoncé, le ventre paralysé, les poumons cicatrisés, la colonne cloutée de vis et le visage difforme, la vie allait moins swinger. »
Un médecin lui propose de passer l’été dans un centre de rééducation. Il ne semblait pas savoir à qui il s’adressait – « lol » a dû penser Sylvain Tesson, qui s’est empressé d’organiser sa rééducation personnalisée : partir à pied sur les chemins de France, mais pas n’importe lesquels (c’est Sylvain Tesson, quand même), « les chemins noirs », c’est-à-dire les chemins de traverses, loin des routes officielles, la « France ombreuse protégée du vacarme, épargnée par l’aménagement ».
L’habitué des terres exotiques se retrouve donc à parcourir la France des coulisses, deux mois et demi de marche à pied, du Mercantour au Cotentin, dormant le plus souvent dehors. Sylvain Tesson nous raconte son périple, accompagné de réflexions sur la géographie, sur la ruralité, voire même l’hyper-ruralité, mais aussi sur sa nouvelle vie : celle d’un homme au corps abîmé, qui a perdu lors de cette chute une partie de ses capacités physiques, sa beauté (son visage est cabossé et il est atteint de paralysie faciale), son insouciance, et son côté tête brûlée.
Sylvain Tesson n’a par contre pas perdu son goût du risque, sa culture, sa curiosité, sa plume vive, et son humour caustique. Il ne cache pas les graves séquelles de son accident, et ses impacts sur son mode de vie et sa façon de voir les choses, mais avec une bonne dose d’auto-dérision. Difficile ne pas s’attacher à un tel personnage, ni d’éprouver de l’admiration devant son énergie à ne surtout pas se laisser abattre, et à remonter en selle au plus vite.
L’auteur, par cette longue marche, fait un double, voire même un triple deuil : celui de sa mère, décédée en 2014, celle de son corps, celle de sa vie d’avant. Ses réflexions sur la ruralité, sur l’aménagement du territoire amènent à des interrogations sur notre rapport au monde qui rejoignent les principes de la simplicité volontaire : la nécessité de se couper des nouvelles technologies à outrance, de diminuer, de ralentir, de s’ennuyer, de se rapprocher de la terre, de disparaître dans les grands espaces. « Certains hommes espéraient entrer dans l’Histoire. Nous étions quelques-uns à préférer disparaître dans la géographie ».
L’écriture est parfois un peu lyrique et ampoulée à mon goût mais « Sur les chemins noirs » est un récit très agréable à lire, et derrière l’humour et les phrases bien tournées, plus profond qu’il n’en a l’air. C’est le récit d’une mutation : celle de notre territoire, celle de notre société, celle aussi de Sylvain Tesson. Une belle surprise.
Publié en Octobre 2016 chez Gallimard, 144 pages.
35e lecture de la Rentrée Littéraire 2016.
J’aimerais beaucoup le lire 🙂
je suis sûre qu’il te plaira !
On dirait presque un coup de coeur en te lisant. En tout cas, j’ai très envie de le lire depuis qu’on en a parlé hier soir !
non pas un coup de coeur, mais il a vraiment éveillé mon intérêt – je pense qu’il te plaira
Tentée, surtout pour le questionnement qu’il soulève. Je vais surveiller sa parution en poche.
Après « Dans les forêts de Sibérie », je suis curieuse d’en lire plus!
il faut que je lise également Dans les forêts de Sibérie et ses autres récits de voyage.
Je l’ai vu en interview – c’est vrai que son visage, c’est impressionnant au départ – je le trouve très courageux. Pour ma part, j’aimerais lire le récit sur Napoléon dont tu as déjà parlé.
j’ai vu des photos plus récentes où on voit toujours qu’il y a un souci avec son visage mais il semble avoir quand même bien récupéré – au début c’était effectivement très impressionnant. Le récit sur le périple en Russie m’avait intéressée, mais j’avais été moins convaincue, je trouvais que le récit était assez répétitif et parfois un peu superficiel, ceci est plus profond et aussi plus intéressant.
Après Berezina (coup de coeur), il me fallait celui ci, différent mais semblable… Beaucoup aimé.
je l’ai préféré à Berezina
J’avais envie de le lire mais je ne l’ai pas fait car je craignais un peu le style ampoulé justement…je risque de changer d’avis, à te lire !
Et il est vrai que le bonhomme revient de loin !!
il y a quelques passages un peu sur-écrit mais globalement c’est très accessible, bien tourné et souvent drôle et pertinent.