Je suis une inconditionnelle des éditions Sonatine, et je guette toujours impatiemment leurs nouvelles parutions. Je ne pouvais donc pas manquer de lire « Cet été-là » de Lee Martin, auréolé de son statut de finaliste du Prix Pulitzer en 2006.
On ne peut pas vraiment dire que « Cet été-là » soit un thriller…Un peu dans la veine de « Tout ce qu’on ne s’est jamais dit », c’est plutôt un roman psychologique. Dans une petite ville, dans les années 70, la petite Katie, partie en vélo rendre ses livres à la bibliothèque, disparaît. Seul son vélo est retrouvé. Trente ans après les faits, quatre protagonistes racontent ce qu’il s’est passé cet été-là : Gilley, le grand frère de Katie, Raymond le présumé coupable, Clare, la femme de Raymond, et Henry Dees, le professeur particulier de mathématiques de Katie…
Une grande solitude se dégage de ce livre. A part Gilley qui a dix-sept ans à l’époque et qui vit avec ses parents et sa sœur au sein d’une famille relativement unie, les autres personnages sont relativement isolés. Clare est une femme d’une cinquantaine d’années terne et discrète, veuve depuis peu, qui pense qu’elle vivra seule pour le restant de ses jours. Au diner où elle travaille, elle rencontre Raymond R. Wright, un homme plus jeune qu’elle, un peu marlou mais romantique et plein de vie, qu’elle épouse rapidement. Raymond a mauvaise réputation et n’est pas bien vu dans le quartier, et les voisins reprochent à Clare de s’être remariée trop rapidement après la mort de son premier époux, un bout-en-train très apprécié. Le couple a donc une vie sociale très limitée. Le seul voisin qu’ils fréquentent est Henry Dees. Fils unique de parents qui l’ont eu sur le tard, et qui sont aujourd’hui décédés, celui-ci a toujours été un peu décalé. Il n’a plus de famille et n’a jamais eu d’amis. Les seules personnes avec qui il a une vraie interaction sont les enfants et adolescents à qui il donne des cours de maths. Henry est fasciné par la famille Mackey, la famille modèle par excellence, qui de plus est sans doute la plus riche de la ville. Il est en adoration devant la petite Katie, une enfant aussi vive que jolie…
A tour de rôle, les protagonistes prennent la parole et racontent, trente ans après, ces quelques jours d’été qui ont fait basculer leur existence, leurs émotions, leurs regrets…mais aussi leurs versions officielles…et leurs versions officieuses. Certes, il y a une enquête dans cette histoire – pour retrouver Katie et savoir qui l’a kidnappée voire même peut-être tuée – mais les policiers, s’ils sont présents dans le récit, sont vraiment à la périphérie. On découvre vite que les narrateurs ont tous une part de responsabilité dans cette affaire. Gilley doit vivre avec la culpabilité d’avoir dénoncé une bêtise de Katie à leur père, ce qui avait entraîné le départ de la petite fille pour la bibliothèque. Quant à Clare, amoureuse et tellement heureuse d’avoir été sortie de son veuvage par un homme aux petits soins pour elle, elle est complètement aveuglée et ne voit que les bons côtés de son mari, pas ses mensonges et ses addictions. Et que dire d’Henry? Plus le récit avance, plus le personnage fait peur sous une apparence touchante de vieux garçon solitaire : il est totalement fasciné et obnubilé par Katie, jusqu’à entrer dans sa chambre pour toucher ses affaires, épier sa maison la nuit, et l’embrasser sur la joue…
J’ai dévoré « Cet été-là », portée par l’atmosphère particulière du roman et ses personnages à la fois malsains et attachants. Aucun manichéisme chez Lee Martin, on va plaindre les protagonistes pour être dégoûté et mal à l’aise quelques pages plus loin. La relation entre les deux voisins, Raymond et Henry, est très intéressante. Ces deux hommes solitaires par la force des choses, mais qui aimeraient tant être entourés, le premier par des amis, le deuxième par une famille, vont se rapprocher en se rendant des services. Raymond travaille dans la construction, est malin et habile de ses mains, tandis qu’Henry vit dans une maison qui se fissure de partout, et est incapable de prendre soin ou de réparer ses affaires. Raymond va donc trouver quelqu’un qui écoute ses conseils et valorise son savoir-faire tandis qu’Henry trouve enfin quelqu’un qui s’occupe de lui. Pourtant, très vite, cette relation, au départ positive, va prendre un mauvais tournant.
C’est un drame ordinaire que nous conte Lee Martin, même si les personnages sont très spéciaux. Un mélange de bêtise, de pas de chance, de mauvais endroit au mauvais moment… J’avais très envie que « Cet été-là » soit un coup de cœur mais même si je trouve le livre bien construit et maîtrisé, assez fin psychologiquement parlant et basé sur des personnages inquiétants vraiment réussis, je n’ai pas été totalement conquise par ce roman, sans doute parce que j’ai été un peu déçue par le dénouement. Je pense que je m’attendais à un final à la hauteur de la tension distillée tout au long du récit, or autant j’ai trouvé tout le reste du livre très bien écrit, autant j’ai trouvé la description du nœud de l’histoire un peu brouillonne et finalement peu crédible, ce qui m’a fait finir ce roman sur une note mitigée. J’aurais presque eu envie de réécrire cette partie pour qu’elle soit plus conforme à ce que j’attendais! Dommage, car « Cet été-là » de Lee Martin est un roman vraiment marquant et qui sort de l’ordinaire.
Publié le 9 Février 2017 chez Sonatine, traduit par Fabrice Pointeau, 320 pages.
10e lecture de la Rentrée Littéraire de Janvier 2017.
Dommage, le final… Il n’est pas le seul à s’être ainsi planté. Pas facile de clore une intrigue policière !
oui il faudrait commencer par rédiger la fin!
ah zut. J’étais happée par ta chronique en me disant que j’allais l’acheter mais la fin me trouble. Bon bah ce sera en poche à la rigueur
ça me fait toujours rager d’apprécier un livre et puis que mon plaisir soit gâché par une fin que je ne trouve pas à la hauteur…
Si tu le rapproches de Tout ce qu’on ne s’est jamais dit, ça ne peut que me parler !
Tous les deux romans psychologiques, polyphoniques…et publiés chez Sonatine 🙂
Repéré il y a un bout, je l’attends avec impatience.
J’attends aussi impatiemment la parution en poche de « Tout ce qu’on ne s’est jamais dit », prévue pour le mois prochain si je ne m’abuse. Ce genre d »intrigue me passionne et si, en plus, elle est racontée par plusieurs voix, c’est encore mieux. J’adore les romans polyphoniques. Très curieuse de découvrir cette fin qui t’a déçue… Dommage, mais ce qui précède semble hautement valoir le détour!
Et… que signifie «marlou»?
ah je sens que tu vas adorer Tout ce qu’on ne s’est jamais dit ! un marlou c’est comme un filou, ça peut être employé aussi dans le sens de proxénète (même si ce n’est aps le cas dans le roman)
je l’avais mis dans ma liste d’envie (avec « Tout ce qu’on ne s’est jamais dit ») et je vois que Marie-Claude s’en est souvenue ! j’ai lu en diagonale ton billet – j’attendrais qu’ils arrivent sagement à la bibli – je suis débordée de lectures …. 🙂
j’ai préféré Tout ce qu’on ne s’est jamais dit…
les sorties de la rentrée de Janvier n’arriveront que courant Mars dans mon réseau de médiathèques, mais je suis plutôt sage en emprunts, j’ai déjà tellement de choses à lire…
J’avais adoré « tout ce qu’on ne sait jamais dit »; Le rapprochement que tu fais attise ma curiosité mais ta conclusion me refroidit…
ce n’est pas non plus une énorme déception, peut-être que toi tu ne seras pas déçue par ce dénouement…
Il me donnait vraiment très envie !
moi aussi, d’où ma petite déception…
Je ne suis pas une inconditionnelle de Sonatine (souvent déçue) mais j’avoue que celui-ci me tente et que j’ai failli l’acheter hier. Je le note.
j’ai été déçue deux ou trois fois (par Les Réponses d’Elizabeth Little, et Une autre vie de SJ Watson, notamment) mais habituellement je suis plutôt agréablement surprise.