Après mon coup de coeur pour « Addict » de James Renner, j’avais envie de lire un autre « true crime », écrit cette fois-ci par un auteur français que je lis depuis plusieurs années, Philippe Jaenada, découvert à l’occasion du Grand Prix ELLE 2014 : après avoir écrit sur « Sulak » puis sur Pauline Dubuisson (« La petite femelle »), c’est à un triple meurtre non élucidé au Château d’Escoire qu’il consacre son nouveau livre, « La Serpe ».
En pleine Seconde Guerre Mondiale, au matin du 25 octobre 1941, Henri Girard découvre les cadavres de son père Georges, de sa tante Amélie et de la bonne Louis, tués à coups de serpe pendant la nuit dans le château familial d’Escoire. Le jeune homme de vingt-trois ans dormait dans une autre aile du château et n’avait rien entendu durant la nuit. Rien ne semblait avoir été volé, et il n’y avait pas non plus de traces d’effraction, ce qui conduisit à l’arrestation d’Henri. En effet, celui-ci – que la mort de son père et de sa tante rendait instantanément millionnaire – avait la réputation d’être un sale type, instable et perturbé, à couteaux tirés avec son père et sa tante, un noceur qui vivait aux crochets de sa famille, prêt à tout pour leur extorquer de l’argent, même à simuler son enlèvement pour récupérer le montant de la rançon. Henri Girard passa donc dix-neuf mois en prison avant son procès où, coup de théâtre, son avocat Maurice Garçon – l’un des avocats les plus célèbres de l’époque et accessoirement un des meilleurs amis de Georges Girard – obtint son acquittement.
Philippe Jaenada est un homme curieux de nature, et je ne doute pas qu’il ait été intrigué par un triple meurtre resté inexpliqué, mais deux faits l’ont poussé à s’intéresser de plus près à cette (vieille) affaire. Après sa libération, Henri Girard a bourlingué un peu partout, a connu mille vies, mais il est surtout devenu écrivain sous le pseudonyme de Georges Arnaud, connaissant la célébrité avec le roman « Le Salaire de la Peur », adapté au cinéma par Henri-Georges Clouzot avec Yves Montand dans le rôle principal. Mais Henri Girard est aussi le grand-père d’Emmanuel, un très bon ami de Philippe Jaenada…
Celui-ci est interpellé par les contradictions entre la mauvaise réputation d’Henri Girard au moment du crime et son comportement après-guerre, entre littérature et engagements humanistes. Henri est-il un coupable relâché dans la nature grâce au talent de son brillant avocat ou au contraire, un innocent victime d’une erreur judiciaire que l’issue du procès aura réparée? Philippe Jaenada décide donc de partir enquêter à Escoire, 75 ans après les faits.
Ceux qui connaissent déjà Philippe Jaenada savent à quoi s’en tenir. Quant aux autres, attention, si vous n’aimez pas les digressions et le fait qu’un auteur intervienne sans cesse dans le récit, vous allez être servis! (Mais rassurez-vous et serrez les dents, ça vaut le coup de s’accrocher!) En effet, sur les 700 pages, la moitié je pense est consacrée aux réflexions diverses et variées de l’auteur. Cela dit, si certaines tombent parfois comme un cheveu sur la soupe, elles sont quand même souvent liées à l’enquête. Et « La Serpe » n’est pas juste le récit d’un fait divers, ou une biographie d’Henri Girard, mais bien le récit de l’enquête menée par Philippe Jaenada et de ses hypothèses et raisonnements sur le sujet. Et si l’auteur est très bavard, ses réflexions sont souvent tendres, drôles, pertinentes, et c’est aussi ce qui rend ce quasi roman policier aussi passionnant : on a l’impression d’être avec lui dans la Meriva et d’être son Dr Watson ou son Hastings. Son travail n’a rien de superficiel, il cherche vraiment à obtenir le maximum d’informations possibles et étudie des centaines de documents, les compare, les confronte – un énorme travail pour tenter de découvrir la vérité – d’autant plus que l’enquête a été bâclée, avec, de plus, de nombreuses erreurs et contradictions : Henri était-il réellement un meurtrier? Et si ce n’est pas le cas, comment se représenter l’horreur d’être accusé à tort d’un parricide? Car Philippe Jaenada s’attache à ses personnage, que ce soit Sulak, Pauline – qui semble encore l’obséder – ou Henri. Il semble attiré par les personnes décalées, poil à gratter, scandaleuses, en rupture avec leur milieu et leur époque. Et « La Serpe » aurait pu avoir comme sous-titre « La Mauvaise Réputation » : mauvais fils, mauvais neveu, caractériel, violent, excentrique, malhonnête, voleur… Mais quid de la réalité?
Philippe Jaenada rouvre un cold case et nous livre une enquête passionnante, à la fois très carrée et contée d’un ton vif et frais. Impossible de ne pas penser à Agatha Christie avec cette histoire de guerre, de château, de jeune bourgeois à la vie dissolue, et de mystère… et Philippe Jaenada est très convaincant dans son double rôle d’auteur/enquêteur. Une excellente lecture!
Publié en Août 2017 chez Julliard, 648 pages.
15e lecture de la Rentrée Littéraire de Septembre 2017.
J’ai eu la chance de l’entendre (et de le voir) ce week-end au salon du livre de poche qui se tient dans ma région, lors d’un entretien croisé avec Ivan Jablonka, sur le thème « Du fait divers à la littérature ». C’était très intéressant, et Jaenada est aussi sympathique en vrai que dans ses bouquins !!
je l’avais rencontré également lors du prix ELLE, et effectivement il est conforme à ce qu’il dégage dans le livre!
Excellent oui, un de mes (rares) coups de coeur de cette rentrée.
ah, pas fan de cette rentrée littéraire? moi je l’adore!
Nous sommes complètement d’accord ! Je suis même allée jusqu’au coup de cœur…
j’étais à la limite du coup de coeur également 🙂
Je suis en train de le lire et je peine énormément. Ce ne sont pas les digressions qui me gênent, bien au contraire. J’aime cette façon de s’immiscer dans ma lecture et de détendre l’atmosphère. C’est l’équête qui me semble lourde et penible.
Avec la première partie, je perçois bien le personnage d’Henri. Avec la seconde, je decouvre le triple meurtre.
Ensuite, cela me semble terriblement détaillé, redondant. Je m’ennuie parce que je n’attends plus rien.
Je suis étonnée car ce livre est très apprécié de lecteurs qui ont habituellement le même univers que moi.
je suis d’accord avec toi sur le fait que le livre peine un peu à décoller au début – mais passé le début, cela devient vraiment fluide et j’ai été emportée par l’enquête…donne lui une chance!
Justement, les parenthèses…j’avais trouvé ça insupportable dans « Sulak », et là, devine ? il fait ENCORE partie de la sélection du Prix Elle et j’ai peur d’avoir à le lire et de m’agacer ENCORE ! Dommage parce que l’histoire m’intriguait !
haha, Jaenada le retour 😀 😀 c’est sûr que tu vas avoir ta dose de parenthèses! après il y a tout le côté enquête qui est vraiment passionnant, et qui te plaira, j’en suis sûre, donc peut-être que la lecture te sera plus plaisante que prévu
Le coup des parenthèses et autres digressions, sûr que je ne le supporterais pas !
ça passe ou ça casse…pourtant le sujet te plairait, j’en suis sûre
Ce n’est pas pour moi je crois!
les livres de Jaenada sont particuliers, soit on aime soit on s’agace très vite!
Pourquoi pas alors ?
ah oui, à tenter!
Je devrais donc aimer car ça ressemble beaucoup aux deux derniers !
oui, avec en plus une « vraie » enquête pour déterminer qui est le coupable dans cette affaire…
Il m’avait gâché Sulak avec ses parenthèses et ses digressions alors que ce qu’il racontait sur le personnage était intéressant alors je ne veut plus lire cet auteur 😉
oui si tu ne supportes pas ce travers de Jaenada, tu ne pourrais pas aller jusqu’au bout de la Serpe!
Savez vous ou je peux lui écrire ?
Une adresse ou mail ?
à la rubrique contact de son site internet (www.jaenada.com)