Comme l’an dernier, où j’avais eu le plaisir d’y rencontrer le talentueux et sympathique Gaël Faye, je me suis rendue au salon « Histoire de Lire » de Versailles, qui a le mérite de se dérouler à seulement quelques minutes à pied de chez moi, et dans un cadre fastueux!
Comme son nom l’indique, c’est un salon dédié au livre d’histoire, mais de façon large, de nombreux romans et bandes dessinées avec un fond historique y sont présentés. Cette année, l’affiche était vraiment prestigieuse, avec notamment la venue du Prix Goncourt 2017 Eric Vuillard, pour « L’ordre du jour », et celle du Prix Renaudot 2017 Olivier Guez, pour « La Disparition de Josef Mengele ». J’étais également très intéressée par la présence de Didier Decoin, dont j’ai entendu le plus grand bien pour son dernier roman « Le bureau des jardins et des étangs ».
Cette année, le salon se déroulait à l’Hôtel de Ville, mais également en face, à l’Hôtel du Département. Comme vous pouvez le voir sur les photos, le cadre, dans ces deux lieux, est absolument magnifique, avec lustres et moulures au rendez-vous. Le salon se compose de dédicaces, mais aussi de conférences, et propose également un espace jeunesse.
Beaucoup d’auteurs à particule, beaucoup d’hommes politiques (de droite), et une moyenne d’âge des visiteurs assez élevée, en tout cas lors de mes différentes visites (début et milieu d’après-midi le Samedi, milieu d’après-midi le Dimanche). Ce qui est assez particulier à Versailles et que j’avais déjà constaté l’an dernier, c’est que le public se bouscule devant des écrivains que je ne connais pas alors que les auteurs vers qui je me précipite ne sont pas les plus occupés!
Samedi:
Je souhaitais voir Didier Decoin en dédicace puis en conférence, mais il était malheureusement absent pour raison de santé. Je pensais faire la queue pour voir Olivier Guez, mais quand je suis arrivée, il n’y avait personne devant sa table et j’ai pu discuter tranquillement avec lui, et faire une petite photo où il a l’air très sombre, en accord avec le thème de son livre (il m’a dit être extrêmement fatigué!)
Je suis revenue plus tard pour sa conférence, et j’ai bien fait car elle était extrêmement intéressante : Olivier Guez a commencé par qualifier son livre de « roman de non fiction », précisant que son modèle au moment de l’écriture était « De sang froid » de Truman Capote. En effet, le récit est historiquement proche de la réalité, mais écrit avec une technique romanesque, c’est une oeuvre subjective, qui exprime son propre ressenti, qui met parfois en scène des événements réels (par exemple la description de la liaison de Mengele avec la femme du couple hongrois qui le cache pendant quatorze ans) mais qui laisse également au lecteur la liberté de son ressenti.
Olivier Guez a tenu à préciser qu’il ne ressentait aucune empathie pour Mengele, contrairement à ce que certains lecteurs semblaient penser. Il travaille sur la période de l’après-guerre depuis une dizaine d’années et se rend compte que beaucoup de gens ont l’impression que « les nazis » se sont évaporés en Mai 1945, que ceux-ci sont vus comme des images en noir et blanc ou comme des vieillards (comme Barbie lors de son procès), alors qu’en 45 c’était des hommes souvent jeunes, ayant une trentaine d’années, qui ont eu une (longue) vie après-guerre.
Il a souhaité démentir certaines légendes : non, le travail de mémoire ne s’est pas fait immédiatement après-guerre en Allemagne, il a fallu que les cadres nazis toujours au pouvoir partent à la retraite à la fin des années 70. Et non, les criminels nazis n’ont pas été immédiatement recherchés. Au début, la Seconde Guerre Mondiale était vue comme un conflit militaire, et ce sont les hauts dignitaires qui ont été recherchés et jugés. La Guerre Froide, où chacun des deux blocs luttait pour récupérer des experts nazis et ainsi gagner cette Guerre, a selon lui également empêché la dénazification. Il a fallu le procès Eichman pour qu’il y ait une prise de conscience de la Shoah, puis le procès de Francfort, qui était le procès du personnel d’Auschwitz, pour que le nom de Mengele commence à être prononcé, et qu’il soit recherché (et qu’il devienne le symbole de la barbarie nazie). Avant cela, Mengele vivait « la dolce vita » en Argentine, un vrai « pacha » qui n’était nullement inquiété.
Olivier Guez veut également démonter la légende de Mengele, surnommé « L’Ange de la Mort ». Il est agacé par cette mythologie maléfique autour de Mengele, qu’il juge complètement fausse. Celui-ci n’évoluait pas dans les hautes sphères du parti Nazi, c’était un grand bourgeois carriériste pour qui Auschwitz était un tremplin pour obtenir une chaire à l’université. Il a été envoyé à Auschwitz par son directeur de thèse, ce qui était l’occasion pour lui de pouvoir conduire ses expériences sur des « cobayes humains », afin de pouvoir accélérer ses recherches scientifiques, mais aussi une planque pour ne pas être envoyé sur le front de l’Est. Pour Olivier Guez, Mengele était un médiocre, un sale type sans conscience ni empathie mais certainement pas un tueur né, ni même un vrai Nazi (selon lui, la plupart des actes commis lors de la Seconde Guerre Mondiale ne l’ont pas été par idéologie nazie, mais pour répondre à des micro-ambitions). Il a rencontré sur son chemin une idéologie qui lui a permis de doper sa carrière, mais s’il était né trente ans avant ou trente ans après, il n’aurait sans doute jamais découpé des enfants, commis des actes abominables. D’ailleurs, avant ou après la guerre, il n’a assassiné personne (un fait qui m’avait fortement étonnée quand j’ai lu le livre).
Deux choses ont quand même étonné Olivier Guez lors de ses recherches : il ne s’attendait pas à ce que la richesse de la famille Mengele soit aussi importante, ni à ce que le soutien de la famille soit aussi inconditionnel. La famille n’a par exemple rien dit quand elle a appris la mort de Mengele. Cette mort a été découverte seulement six ans après les faits : les recherches intensives pour retrouver Mengele se sont donc déroulées alors qu’il était déjà mort! Olivier Guez a également été très surpris de découvrir que Mengele avait été caché pendant quatorze ans par une famille de paysans hongrois résidant au Brésil, le médecin nazi avait même eu une liaison avec l’épouse. Un huis clos de quatorze ans avec Mengele et une sorte de triangle amoureux…Les paysans n’auraient pas agi par idéologie mais bien par vénalité, comme une grande partie de la chaîne de solidarité pour cacher Mengele : l’argent de la famille Mengele leur a permis en quatorze ans de passer d’une ferme misérable à une villa immense dans le meilleur quartier de Sao Paolo!
J’ai eu l’occasion de revoir Olivier Guez ( qui « n’est pas vieux et n’a pas Alzheimer, et se souvenait de moi ») après la conférence pour discuter avec lui de « La Ville sans Juifs » d’Hugo Bettauer, un roman sorti en 1922, dont il a préfacé la réédition.
Dimanche:
Lorsque je suis arrivée dimanche après-midi, le salon était en pleine effervescence, et il y avait une file très importante de visiteurs qui attendaient une dédicace…quel bel accueil pour le Prix Goncourt pensais-je. En fait, c’était pour la venue de Pierre de Villiers! Lorant Deutsch dédicaçait à tour de bras, tout comme Marc Jailloux, qui dessine Alix depuis la mort de Jacques Martin. J’ai également croisé Alice Ferney, qui donnait une conférence.
A cause d’un couac dans l’organisation, j’ai bien failli rater la conférence d’Eric Vuillard! J’ai dû courir dans un autre bâtiment, et j’ai récupéré l’une des dernières contre-marques. Belle déception en voyant l’endroit où se déroulait la conférence du Prix Goncourt, une salle terne, verdâtre, sans âme, où j’étais mal assise sur une chaise pliante, sans vraie visibilité, le son n’était pas bon, et la porte s’ouvrait toutes les cinq minutes… Rien à voir avec la conférence d’Olivier Guez la veille, et indigne de Versailles et de la venue d’un Prix Goncourt!
Eric Vuillard commence par expliquer pourquoi il est indiqué « récit » sur son livre (que je n’ai pas lu). Pour lui, « roman historique » a une connotation réactionnaire et figée. Le « récit » indique qu’il y a un fond historique réaliste, et des personnages non imaginés, réels. Son livre est polarisé autour de deux événements: une rencontre entre 24 chefs d’entreprise allemands et Hitler et Goering, qui montre la collusion du milieu des affaires avec le pouvoir nazi, et l’Anschluss, avec une élite autrichienne qui cède, et une élite européenne qui laisse faire.
Il n’a pas écrit sur l’Anschluss « par hasard ». L’envie lui est venue en relisant les Mémoires de Churchill. A un moment, celui-ci mentionne que 70% des panzers allemands étaient en panne lors de l’Anschluss. Cette information a modifié la perception qu’Eric Vuillard avait de cet épisode. En effet, elle montre que l’armée allemande n’était pas préparée à envahir l’Autriche, que l’Anschluss s’est faite sur du bluff et de l’intimidation, mais pas sur une vraie force militaire. Cela est venu troubler ce qu’il croyait savoir sur la Seconde Guerre Mondiale, une période qui l’intéresse particulièrement.
Lorsque l’animateur lui demande si l’Histoire, déjà sillonnée par les Historiens, n’est pas difficilement traitable au niveau littéraire, Eric Vuillard rétorque que l‘Histoire n’est pas une donnée objective, il y a une interprétation, une séquenciation…et des différents, des dissensions entre les Historiens. Par exemple, pour la Seconde Guerre Mondiale, il y a des désaccords sur les causes, une vision de l’Histoire différente selon les bords politiques.
Dans chaque livre, il y a une composante réaliste, et une composante imaginaire (il prend l’exemple des Misérables, de Victor Hugo). La fiction, notamment lorsqu’elle évoque un fait historique, c’est l’organisation des faits, une trajectoire pour raconter, une façon de se forger une opinion…C’est le principe du montage pour un film, de la composition pour un récit.
Il y a des journées qui sont ordinaires pour ceux qui les vivent (il évoque le déjeuner de Ribentropp et Chamberlain le jour de l’Anschluss, ou la fameuse rencontre des chefs d’entreprise avec Hitler), et ce qui est extraordinaire aujourd’hui, c’est que ces journées aient été ordinaires. Qu’un chef d’entreprise rencontre des dictateurs parce qu’il y voit des débouchés économiques, c’est finalement banal, même de nos jours. Lorsque nous lisons, aujourd’hui, le récit de la rencontre entre industriels et nazis, on le fait en sachant ce qui va se passer, la guerre, la Shoah, on a une certaine défiance envers un épisode qui était banal à l’époque. C’est pourquoi Eric Vuillard a choisi de raconter à la première personne du singulier, et non par avec un narrateur omniscient. En utilisant le « je », on rappelle qu’il y a quelqu’un derrière le récit, que quelqu’un raconte l’histoire. Avec donc, une idéologie.
Je suis vraiment ravie de cette deuxième visite au Salon de Versailles, et d’avoir pu assister à des conférences aussi intéressantes. Un passage obligé l’année prochaine!
Grand merci pour cet article, pour le compte-rendu des conférences. Je n’ai pas encore eu l’occasion d’aller à ce salon versaillais, il est très intéressant ( je connaissais le salon du livre d’Histoire à Blois ). A propos de ce que dit Olivier Guez sur le travail de mémoire, cela me fait songer à un film ciné dont on a trop peu entendu parler qui pourtant est excellent sur le sujet : » Le Labyrinthe du silence « .
Sinon, j’espère que tu as envie de lire Eric Vuillard, je n’ai pas lu ce Goncourt mais les précédents et j’ai adoré 🙂
oui, j’ai vu également le Labyrinthe du Silence, effectivement c’est tout à fait en phase avec la conférence d’Olivier Guez (le travail de mémoire, et le procès du personnel d’Auschwitz). Il y a également un autre film, qui est en phase avec le livre d’Olivier Guez: « Fritz Bauer un héros allemand «
pour te répondre sur Eric Vuillard:j’ai lu le précédent, que j’avais bien aimé, sans plus…je ne pense pas que j’aurais lu ce Goncourt spontanément, mais maintenant que j’ai assisté à la conférence, mon envie de le lire a augmenté
Le précédent d’Eric Vuillard n’est pas mon favori non plus, en revanche » Tristesse de la Terre » m’a totalement embarquée et émue. Si tu envisages de récidiver… 🙂
c’est vrai que j’ai entendu beaucoup de bien de Tristesse de la Terre, mais je ne l’ai jamais lu…merci du conseil 🙂
Merci pour ce compte rendu, je n’ai pas lu Guez mais grâce à toi j’apprends plein de choses;
N’hésite pas à lire vuillard. Bon bouquin, cette histoire de chars en panne jette le ridicule sur les nazis, qui hélas ont quand même continué.
Tant mieux pour toi si les visiteurs n’ont pas les mêmes auteurs que toi en ligne de mire! Je pense que j’aurais choisi les mêmes que toi!
c’est impressionnant de voir une foule devant des auteurs inconnus de moi, et de voir des auteurs beaucoup plus connus désoeuvrés (là où ce serait la foire d’empoigne dans un autre salon!)
je te conseille vivement la Disparition de Josef Mengele, un ouvrage vraiment très instructif!
Merci pour ce retour très intéressant !
C’est toujours sympa de voir les retours sur les salons, notamment celui-là (je suis d’autant plus intéressée aujourd’hui vu mon boulot !).
J’avais une invitation pour l’inauguration, mais j’avoue que j’ai clairement eu la flemme de faire le déplacement.
Dommage, car la conférence avec Olivier Guez avait effectivement l’air passionnante ! J’ai vu que quelqu’un l’a déjà mentionné dans les commentaires, mais effectivement ça me rappelle beaucoup l’histoire du film Le Labyrinthe du Silence.
A lire, donc !
yes, Le Labyrinthe du Silence, ou Fritz Bauer, en effet!
pour moi le déplacement était plus que minime (5 minutes à pied!) mais je te comprends, même pour le Festival America il a fallu qu’il me motive!