Je connaissais Susan Faludi pour son célèbre essai « Backlash : la guerre froide contre les femmes » et j’ai découvert par hasard son nouveau livre, « Dans la chambre noire », sur Netgalley où son résumé m’a interpellée.
Susan Faludi n’a pas vu son père Steven depuis des années lorsqu’elle reçoit un email de sa part : elle y découvre que Steven, qui est retourné dans son pays d’origine, la Hongrie, a entrepris un changement de sexe et s’appelle désormais Stéfanie. Cette annonce ravive les échanges entre Susan Faludi et son père, dont elle n’avait pas gardé un souvenir attendri, celui-ci ayant été un homme froid, sombre, mystérieux et même parfois violent – la dernière fois qu’elle l’avait vu, il tabassait le nouveau petit ami de son ex-femme, la mère de Susan…
Susan va se rendre plusieurs fois à Budapest, où elle découvre Stéfanie, une femme coquette et minaudante qui adore la galanterie, bien loin du cliché d’Américain moyen qu’était Steven. Cette transformation rend l’auteure assez perplexe, puisqu’elle n’avait pas connaissance d’une quelconque envie de changer de sexe chez son père, mais elle l’accueille avec bienveillance et curiosité. Journaliste et essayiste, elle cherche à comprendre ce qui a mené son père vers cette transition, notamment en explorant le passé de cette personne mystérieuse, qui a toujours éludé ses questions.
Le père de Susan Faludi s’est déjà réinventé plusieurs fois : né Istvan Friedman dans une famille juive, il a réussi à échapper à la Shoah en se faisant passer pour un milicien hongrois – sauvant ses parents par la même occasion. Puis il a changé son nom de famille en Faludi pour affirmer son identité hongroise, avant d’émigrer aux Etats-Unis où il a adopté le prénom Steven, avant de revenir en Hongrie après la chute du communisme, et de devenir Stéfanie.
Dans ses recherches, Susan Faludi explore la notion d’identité mais également l’histoire des Juifs en Hongrie et l’antisémitisme auquel son père a été confronté en tant que jeune homme juif – ce qui résonne désagréablement avec l’époque actuelle, où le pays est confronté à l’extrémisme. Sans bien sûr expliquer ainsi son désir de changer de sexe, elle remarque notamment que durant toute une partie de sa vie, son père a subi du stress, du mépris, de la violence, et a risqué de mourir car il était un homme – la circoncision rendant plus difficile la dissimulation des hommes juifs que des femmes juives durant la guerre.
Stéfanie est un sacré personnage, régulièrement horripilant mais également attachant, et au fur et à mesure des voyages et des échanges Susan et son père se rapprochent, l’auteure pouvant enfin se raccrocher à une histoire familiale. Susan Faludi n’obtiendra pas les réponses à toutes ses questions, mais j’ai lu avec grand intérêt « Dans la chambre noire », ce récit riche et passionnant, personnel et universel, souvent grave mais parfois vraiment très drôle. Un livre assez unique en son genre!
Publié en Septembre 2018 chez Fayard, traduit par Karine Lalechère , 464 pages.
Merci à Netgalley pour cette découverte.
19e lecture de la Rentrée Littéraire de Septembre 2018.