« Trois jours à Berlin » de Christine de Mazières est un premier roman que j’ai repéré le mois dernier chez Electra, et je me suis aperçue que l’auteure était versaillaise et qu’elle était à la table à côté de moi en interview dans une librairie-salon de thé de Versailles (La Suite) il y a quelques mois ! Comme elle était invitée au salon « Histoire de Lire » fin Novembre, j’en ai profité pour la rencontrer en dédicace et j’ai découvert une auteure passionnée et enthousiaste qui m’a vraiment donné envie de lire son livre.
« Trois jours à Berlin » est un roman polyphonique qui se déroule à Berlin les 8,9 et 10 Novembre 1989. Le récit suit un certain nombre de personnages qui racontent à leur manière l’incroyable bouleversement qui va se produire – si la plupart sont fictionnels, il y a également Günther Schabowski, le porte-parole du gouvernement qui annonce en conférence de presse que le Comité Central a adopté une réglementation qui permet à chaque citoyen de la RDA d’avoir la liberté de voyager via le poste-frontière qui sépare Berlin Est de Berlin Ouest. Lorsqu’un journaliste lui demande quand cette réglementation sera appliquée, il bredouille : « dès maintenant, sans délai ». Il est 19h, et les Allemands de l’Est se rendent en masse au poste-frontière, devant les soldats désemparés, qui n’ont reçu aucune consigne, qui découvrent la situation en même temps que la population et ne savent pas comment réagir. Ils finiront par recevoir l’ordre de laisser passer les gens et les Allemands de l’Est vont pouvoir accéder librement à Berlin-Ouest pour la première fois depuis plus de vingt-cinq ans. C’est le début d’une nuit de folie (« Wahnsinn » crient les Ossis en arrivant à Berlin-Ouest), une folie inespérée mais totalement pacifique.
Parmi les personnages, Anna, une jeune Française qui souhaite revoir à Berlin-Est Micha, croisé quelques années auparavant ; Micha, qui a tenté de s’évader de la RDA à la nage quinze ans plus tôt en compagnie de son meilleur ami Tobias et qui est traumatisé par la disparition de celui-ci lors de leur fuite ; Lorenz, transfuge de la RDA, qui vit désormais à Berlin-Ouest ; Karl, le père de Micha, héros communiste et ponte de la RDA ; Hanno, père de Lorenz, intellectuel du Parti… mais aussi deux soldats du poste-frontière ou encore Cassiel, un des anges des « Ailes du Désir », le film de Wim Wenders…
J’ai dévoré ce roman. Le côté polyphonique n’est pas forcément évident à maîtriser, mais j’ai trouvé que ce format était adéquat pour raconter cet événement extraordinaire. J’ai aimé les personnages créés par Christine de Mazières, et j’ai également aimé son idée d’y intégrer Cassiel, qui donne un côté poétique à ce fait historique – le film de Wim Wenders, que j’ai découvert parce que Nick Cave y donne un concert, m’a beaucoup marquée et j’étais ravie de le retrouver dans ce livre.
J’ai également apprécié en savoir plus sur l’ouverture du Mur, dont je ne me rappelle que vaguement car j’étais petite : l’auteure, via notamment Günther Schabowski, nous en dit plus sur le contexte – un Etat au bord de la faillite, qui a grandement besoin de faire un geste fort en direction de la RFA s’il veut recevoir une aide financière, un Etat montré du doigt par un Gorbatchev en pleine perestroika, un Etat dont les habitants fuyaient en masse depuis quelques mois via la Tchécoslovaquie et la Hongrie… et c’est l’atmosphère de l’époque qui resurgit : la surveillance permanente de la STASI, la consommation standardisée, le Parti vieillissant et en complet décalage avec les désirs de la population (un antagonisme illustré par deux relations père-fils : Karl et Micha ; Hanno et Lorenz), la RDA qui vendait les transfuges à la RFA (!)…
« Trois jours à Berlin » de Christine de Mazières est un premier roman passionnant, que j’ai pris énormément de plaisir à lire. Un seul petit bémol, un twist dont je me doutais fortement et qui à mes yeux n’était pas indispensable – mais c’est un détail! Un livre chaudement recommandé.
Publié en Mars 2019 chez Sabine Wespieser, 192 pages.
31e lecture de la Rentrée Littéraire de Janvier 2019.
Quelle belle chronique, à l’enthousiasme partagé et communicatif… voilà qui donne envie !
je te le prêterai si tu veux
J’ai aussi apprécié cette lecture et qui m’a aussi remis le contexte en tête – du coup on revoit ces images un peu différemment 😉
merci de m’avoir donné envie de le lire !
La construction du récit par chapitre m’a un peu déroutée et a rendu la lecture saccadée. J’ai eu un peu de mal au début à suivre les personnages.Mais rapidement j’ai compris son but: ce roman documentaire a très bien retranscrit le moment historique et les émotions ressenties par la population, tant à l’Ouest qu’à l’Est.
J’ai aimé voir confirmées les aberrations, les injustices, les violences du régime autoritaire de la RDA au travers des parcours de chaque personnage.
effectivement, cela peut être le point noir d’un roman choral : une narration saccadée, mais j’ai trouvé que l’auteure s’en sortait avec brio, et que cela rendait l’histoire encore plus riche et intéressante.