« Over The Rainbow », récit autobiographique de Constance Joly, nous raconte l’histoire de son père, Jacques. « Je me suis promis d’avancer pour te rejoindre. Mettre au jour tes masques, faire tomber les fictions successives que tu t’es construites pour tenir en équilibre ».
C’est l’histoire d’un homme qui va nier ses penchants homosexuels pendant plus de trente ans, les cacher derrière un mariage avec Lucie. De cette dissimulation naîtra une petite fille, Constance. « Nous sommes les produits d’une vie trouée de mystères, tissée de songes et de dénis. Je suis passée, moi aussi, entre les mailles de tes mensonges ». C’est finalement en 1976, alors que l’autrice a huit ans, que Jacques décide d’arrêter d’être « mari usurpé, père imposteur » et de vivre son homosexualité au grand jour, même si sa famille, des amis, des collègues, lui tournent le dos (« tu fais le choix d’une vie misérable, tu seras détesté, malheureux, et tu mourras abandonné », lui dit sa mère): il quitte sa femme, et s’installe avec Ivan, dont il partagera la vie durant douze ans.
Cette séparation plonge Lucie dans la dépression, alors que c’est une libération pour Jacques, qui s’épanouit moralement et physiquement. Constance, un peu perdue, fait la navette entre l’appartement silencieux de sa mère en souffrance, et la nouvelle vie de Jacques, plus joyeuse, plus légère, où elle a du mal à trouver sa place. Jacques a certes divorcé, mais prend son rôle de père très à cœur : « tu ne persévéreras pas dans ton rôle de mari, mais dans celui de père, si. Tu as été un père discret, emprunté, timide et merveilleux ». La fin des années 70 et le début des années 80 représentent une période plutôt insouciante, faite de vacances, de sorties culturelles… Constance entre dans l’adolescence, la relation entre ses parents s’apaise, elle reçoit quelques remarques goguenardes sur l’homosexualité de son père mais sans plus. Elle se concentre sur les préoccupations de son âge: La « rage d’amitié », « l’amour, c’était la seule chose importante. Le reste – toi, ma mère, mes études – figurait en pointillés ». « Je ne suis qu’un cœur affamé. Je n’ai pas de place pour un père ».
Mais le Sida vient frapper de plein fouet cette période plutôt heureuse. En 1988, alors que Jacques, quitté par Ivan, vient de retrouver l’amour avec Soren, il apprend qu’il est contaminé . Il cache sa maladie à sa fille , « ton silence m’a permis cela : la joie de cet été en suspension », jusqu’en 1991, où il n’est plus possible de la dissimuler. « Je passe à côté de ta maladie ». Jacques décède en 1992.
« Over The Rainbow » est l’hommage d’une fille à son père trop tôt décédé, un père qui s’était libéré de son carcan, faisant fi de l’adversité, pour vivre en conformité avec ce qu’il était réellement. Un livre rempli d’amour, de nostalgie, de regrets aussi. Constance n’a pas eu le temps de vraiment profiter de son père, il a été malade et est décédé à un moment où elle n’était pas encore adulte, où elle ne se rendait pas compte, où elle était occupée ailleurs, dans le bouillonnement de la jeunesse. Un très beau texte qui fait écho à un récit américain que j’ai également beaucoup aimé, « Fairyland » d’Alysia Abbott.
Publié en Janvier 2021 chez Flammarion, 194 pages.
6e lecture de la Rentrée Littéraire de Janvier 2021.