Irène Kaufer est née de parents juifs polonais qui ont tous deux témoigné pour Steven Spielberg en 1997. Elle est issue d’un remariage, le premier conjoint de chacun de ses parents ayant été assassiné par les Nazis. Avec sa première épouse, son père a eu une petite fille, Mariette, tuée en 1942 alors qu’elle n’était âgée que de quelques semaines.
Adulte, Irène se sent être la proie d’un « dibbouk », une sorte de fantôme qui la hante, une personne « mal morte » qui a pris possession d’elle. Elle l’identifie comme étant Mariette et part à sa recherche pour s’en délivrer…
« Dibbouks » reprend les éléments réels de l’histoire des parents d’Irène tout en jouant avec les codes de l’uchronie. La narratrice fait partie de la « deuxième génération », née après-guerre de survivants de la Shoah, et qui a hérité d’histoires douloureuses, de traumatismes et de non-dits, une thématique que l’on retrouve notamment dans « Maus » d’Art Spiegelman, ou dans « Un Secret » de Philippe Grimbert, deux auteurs qui sont d’ailleurs eux aussi nés après l’assassinat d’un frère ou demi-frère.
Irène Kaufer imagine la contre-vie de son père, de sa mère et de Mariette. Mariette aurait été sauvée en 1942 et recueillie par son oncle maternel à Londres. Une fois libéré du camp de concentration, son père serait venu la chercher et tous deux seraient partis s’installer à Montréal. Contrairement au père, la mère d’Irène n’a pas été déportée pendant la guerre. Après la mort de son premier mari, elle a pris un faux nom, s’est fait passer pour une Polonaise chrétienne…et s’est engagée comme travailleuse volontaire en Allemagne! A la fin de la guerre, elle a rencontré un Français qui a renoncé à l’épouser suite au véto de sa famille antisémite. Irène imagine que sa mère a quand même épousé cet homme au lieu d’épouser son père quelques années plus tard…
Des situations douces-amères où elle intervient pour se libérer d’un passé lourd et de vies alternatives dont elle est absente, puisque sa naissance est le fruit d’une succession d’événements ubuesques et dramatiques. « Il fait partie de ces morts dont la disparition a rendu ma naissance possible », dit-elle d’ailleurs du premier mari de sa mère.
Un beau livre sur l’héritage familial, qui aborde la Shoah via un angle original.
Publié en Avril 2021 chez l’Antilope, 224 pages.