« La Famille » de Suzanne Privat est un document dont j’ai entendu parler lors du VLEEL consacré au label « Les Avrils », et que j’ai tout de suite eu envie de lire.
Suzanne Privat, journaliste, a deux enfants qui ont été scolarisés dans un collège du XXe arrondissement. Chacun d’eux a eu dans sa classe des camarades qui étaient cousins entre eux, mais aussi cousins avec des enfants d’autres classes. En discutant avec des amis habitant le même quartier, elle découvre que ce phénomène de familles cousines n’est pas circonscrit aux classes de ses enfants, et que ce sont toujours les mêmes noms de famille qui reviennent.
Cela éveille son étonnement et sa curiosité, et elle décide d’enquêter, d’abord sur Internet, en tapant les quelques noms qu’elle a relevés: elle tombe sur des articles de journaux datant des années 60, des podcasts sur un mystérieux kibboutz à Pardailhan, un arbre généalogique, et des profils sur les réseaux sociaux… en déroulant la pelote de laine, elle met à jour une histoire assez incroyable, celle d’une poignée de familles issues du jansénisme convulsionnaire qui se sont alliées il y a deux cents ans. Depuis 1892, et jusqu’à ce jour, ce groupe, appelé « La Famille » s’est restreint à huit familles…qui se marient entre elles et vivent – majoritairement dans les XIXe et XXe arrondissements – selon des règles qui leur sont propres.
Le sujet est fascinant et j’adore ce genre d’enquête, qui m’a rappelé « 209 rue Saint-Maur », c’est une démarche à laquelle je m’identifie totalement. Cette histoire est stupéfiante, car les grands principes de cette « Famille », datant d’il y a deux siècles, sont toujours respectés en 2021, le tout sans avoir vraiment généré de questionnements de la part des voisins et des institutions du quartier (école, médecins…) : la Famille compte aujourd’hui environ 3000 membres, qui se marient donc entre cousins et sont solidaires et très liés, notamment via des rassemblements et des fêtes. Ils sont incités à frayer entre eux (la solitude est mal vue) , et à se mélanger le moins possible avec des gens extérieurs à la Famille, qu’ils appellent « la gentilité ».
Quand j’ai entendu parler de cette histoire, je pensais que ces personnes vivaient en vase clos, sans avoir de contact avec la société, mais la très grande majorité d’entre eux habitent en plein cœur de Paris, vont à l’école, font des études, travaillent, et ont un mode de vie très similaire à celui des gens de leur génération.
Le point noir est la consanguinité, induite par ces mariages entre huit familles depuis 130 ans, qui provoque des maladies et des handicaps. D’autres questions se posent : « La Famille », bien qu’elle ne comporte pas de chef, et ne soit pas prosélyte, est-elle une secte? D’anciens membres évoquent également de l’incitation à l’alcoolisme, et des actes de violence et de pédophilie dissimulés (ce que l’on retrouve finalement dans un certain nombre de familles…)
J’ai beaucoup aimé être aux côtés de Suzanne Privat lors de cette enquête passionnante. Un document lu d’une traite.
Publié en Avril 2021 aux Avrils, 256 pages.