« L’événement » est un livre d’Annie Ernaux que j’ai lu, non pas à la suite de son Prix Nobel, mais plusieurs semaines avant, pour l’enregistrement d’un épisode du podcast littéraire Bibliomaniacs.
Annie Ernaux, qui attend, dans les années 90, les résultats d’un test VIH, se rappelle ce qui lui est arrivé trente ans plus tôt. Etudiante, elle découvre qu’elle est enceinte. Elle souhaite mettre terme à cette grossesse non désirée, pour continuer ses études, mais l’avortement est à l’époque illégal.
D’elle j’avais lu « La Place », dont j’étais ressortie mitigée. A contrario, j’ai trouvé que l’écriture d’Annie Ernaux, son côté analytique, étaient parfaitement adaptés à « L’événement ». Et si l’autrice, a fortiori depuis son Prix Nobel, et le thème, peuvent faire peur, ce récit court est très accessible et pertinent. Annie Ernaux raconte donc ces quelques semaines où elle cherche une solution pour avorter, entre urgence de cette situation de crise, et des moments qui semblent être vécus au ralenti.
Il y a deux angles majeurs dans ce livre. Tout d’abord, cette dichotomie entre le regard masculin et le regard féminin. Face au petit ami qui n’est ni intéressé ni impliqué, au copain qui pense qu’il y a peut-être moyen de moyenner et aux médecins qui ne veulent pas l’aider, il y a une certaine solidarité féminine qui se dessine, entre la camarade qui épaulera le moment venu, celle qui lui trouve une adresse, mais aussi la femme qui joue un rôle central, « la faiseuse d’anges ». Je m’attendais un peu à cette facette du récit, que l’on retrouve finalement dans de nombreuses crises, quelles qu’elles soient, entre les mains tendues, parfois étonnantes, les regards qui se détournent, et ceux qui jugent ou veulent profiter de la situation.
En revanche, je n’avais pas anticipé l’angle sociologique. En effet, Annie Ernaux vient d’un milieu populaire, et, grâce à ses études, devient un transfuge social. Elle voit cette grossesse non désirée comme son milieu qui la rattrape, avec l’ombre de la fille-mère qui plane sur elle, et qui pourrait l’empêcher d’accéder à l’ascenseur social. La façon dont elle est traitée fait également écho à son milieu d’origine : nul doute que si elle avait été une « jeune fille de bonne famille », elle aurait eu le carnet d’adresses nécessaire ou la possibilité d’aller à l’étranger. Même un médecin lui présente ses excuses, en lui disant que s’il avait su qu’elle était étudiante, il l’aurait mieux traitée… une dimension qui est plus que jamais d’actualité à l’heure où le droit à l’avortement est remis en cause dans plusieurs pays.
A noter la très bonne adaptation cinématographique d’Audrey Diwan, fidèle au livre – dommage cependant qu’il y manque le point de vue d’Annie Ernaux trente ans après, comme dans le récit.
Publié en 2000 chez Gallimard, en poche chez Folio, 114 pages.