Ru – Kim Thuy

« Ru » de Kim Thuy est un roman québécois que j’ai eu le plaisir de découvrir dans le cadre de notre podcast Bibliomaniacs, car il est à l’affiche de l’émission de Juillet – vous pouvez l’écouter ici.

Kim Thuy nous conte, sous la forme de mini-histoires sans ordre chronologique, l’histoire de sa vie. Née au Vietnam dans une famille très aisée, elle connait le déclassement avec la révolution communiste. Alors qu’elle est enfant, ses parents et elle arrivent à s’enfuir dans des conditions effroyables – les fameux boat people – jusqu’à la Malaisie, où ils séjournent  dans des camps de réfugiés. Puis ils réussissent à partir au Québec, où ils trouvent asile. La narratrice, une fois adulte, retournera vivre quelques années au Vietnam.

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Kim Thuy

« Ru » m’a beaucoup intéressée non seulement pour son côté historique, mais aussi pour la profondeur analytique de ce récit. En effet, je connaissais finalement peu de choses sur le Vietnam, sa culture, la guerre, le communisme, les exilés, et « Ru » , à travers toutes ces saynètes et l’histoire de cette famille, retrace tout un pan du Vietnam des années 60 et 70. J’avais un peu peur que toutes ces mini-histoires soient livrées comme des bribes éparses mais il y a une vraie logique dans leur enchaînement, c’est une idée ou un mot qui permet de basculer d’une histoire à une autre, un peu comme dans un jeu de domino. Même si le livre est court, et que les saynètes dépassent rarement deux pages, il y a une vraie profondeur dans ce récit. Kim Thuy parvient en très peu de mots non seulement à donner une vraie épaisseur à ses récits, mais également à analyser les situations et les sentiments de façon profonde et pertinente, avec un angle psychologique intéressant. J’ai d’ailleurs eu l’impression non pas d’avoir lu un ouvrage d’une centaine de pages, mais plutôt un pavé, tant ce livre est riche. J’ai particulièrement apprécié le récit de son arrivée au Québec, mais aussi celui de son retour au Vietnam en tant qu’adulte, et de sa vision  sur ce pays qui n’est plus vraiment le sien.

Les faits relatés sont souvent impressionnants et marquants :  anecdotes familiales au Vietnam,  récits de la condition de parias de la famille de Kim Thuy pendant la période communiste, avec notamment toute une période où des soldats avaient réquisitionné leur maison et où Kim et ses parents étaient assignés à résidence,  traversée horrible et dangereuse sur un bateau de fortune, la vie précaire dans un camp de réfugiés, l’arrivée au Québec avec les différences culturelles et l’énergie des parents déclassés pour que leurs enfants arrivent à s’adapter à leur nouveau pays et connaissent la réussite. Ce qui m’a décontenancée est le ton de la narratrice qui raconte ces histoires avec recul et détachement, et parfois même de l’ironie, en décalage avec le côté émouvant ou révoltant de ce qui est narré. J’ai senti que, revenue de tout, elle était capable de prendre de la distance avec ce qui lui arrivait, et d’envisager sa vie de façon sereine et apaisée. Ayant dû tout quitter, la narratrice considère que tout est éphémère, et a appris à ne pas s’attacher, que ce soit au niveau matériel, comme au niveau sentimental.

J’ai quand même été gênée par cette narration déstructurée, et sans ordre chronologique. Je me souviendrai de mes impressions, de certains faits marquants (notamment cette scène où la mère envoie la narratrice enfant acheter du sucre à l’épicerie pour la forcer à s’exprimer et à prendre de l’assurance – car l’enfant parle tellement peu qu’elle se considère comme sourd-muette – et refuse qu’elle rentre à la maison sans ce fameux sucre, l’enfant passant donc l’après-midi à l’épicerie à attendre puisqu’elle n’ose pas demander le sucre au marchand), de certaines analyses et réflexions, par exemple celle où Kim Thuy évoque un paradoxe : on plaint le Vietnam à cause de la guerre, mais c’est en fait la période où elle-même a été la plus heureuse, alors que la paix ne lui a apporté que du malheur. Je ne suis par contre pas sûre de me rappeler l’histoire de la narratrice dans sa globalité, la narration déstructurée ne me permettant pas vraiment de reconstituer toute l’histoire dans ma tête dans le bon ordre. Ce sont plutôt des flashs qu’il me reste de cette autobiographique pourtant marquante et profonde, mais finalement peut-être était-ce ce que voulait l’auteur en nous racontant sa vie?

« Ru » de Kim Thuy est une belle découverte, sur le plan historique, psychologique, et stylistique. J’ai maintenant hâte de lire l’auteure dans une oeuvre de fiction!

Publié chez Liana Lévi en 2010, disponible au Livre de Poche, 216 pages.

9 commentaires sur “Ru – Kim Thuy

  1. je viens de voir ses romans dans les quelques librairies visitées. Marie-Claude me dit qu’ici il s’agit plus d’un récit « romancé » que d’une autobiographie fidèle à la réalité. Marie-Claude n’a pas l’air d’être très enthousiaste à son sujet 😉 mais tu pourras en discuter avec elle ! Moi je ne fais que passer le message !

  2. J’avais été déçue par ce roman sans doute parce que j’en attendais trop. Par contre, ma rencontre avec l’auteure au salon du livre de Paris reste un très beau moment: elle est vraiment très sympa.

    1. c’est effectivement le retour que j’ai eu au sujet de l’auteur, qu’elle vaut vraiment le coup d’être rencontrée ou au moins d’être écoutée car elle est très sympa et intéressante.

  3. Je ne connais rien non plus de l’histoire du Vietnam (ou très peu de choses) et après mon voyage en Chine je me suis fixé l’objectif de lire beaucoup plus de littérature asiatique, car je n’en lis jamais. Je pense noter celui-là, tu le vends très bien.

    1. moi aussi je lis très peu de littérature asiatique…même la littérature japonaise : je n’ai lu qu’un seul Murakami (L’incolore Tsukuru Tazaki…)
      j’espère que celui-ci te plaira!

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