Dans la forêt – Jean Hegland

« Dans la forêt » de Jean Hegland est un roman qui a été publié aux USA en 1996, et qui y a connu un grand succès. Il aura fallu 20 ans pour qu’il soit traduit et publié en France chez Gallmeister, que je remercie ainsi que Léa, pour m’avoir offert ce très beau livre.

« Dans la forêt » est un roman post-apocalyptique qui se rapproche assez de l’esprit de « Station Eleven ». Comme le livre d’Emily StJohn Mandel, il s’adresse plutôt à un lectorat qui n’est pas adepte de ce genre de littérature : il n’y a pas de vraie science-fiction, il n’y a pas de zombies, le livre est orienté nature writing, et le cœur du roman interroge ce qu’il reste de notre humanité lorsque toute organisation étatique et tout moyen moderne ont disparu.

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Jean Hegland

L’histoire nous est racontée par Nell, dix-sept ans. Elle vit dans la maison familiale, sur la côte Ouest des Etats-Unis avec sa sœur Eva, âgée de dix-huit ans. Les deux jeunes filles ont toujours vécu isolées, leurs parents ayant fait le choix de ne pas les scolariser (alors que le père est directeur d’école!) et d’habiter dans une maison loin de tout, au bout d’une route, près d’une forêt. La mère est morte d’un cancer il y a quelques années, avant le début des événements. On ne sait d’ailleurs pas vraiment ce qu’il s’est passé : les filles ont entendu parler de guerres, de catastrophes naturelles, de virus…Quoiqu’il en soit, il n’y a plus d’électricité, plus de téléphone, plus d’internet, plus d’essence. Le père est mort l’année précédente à la suite d’un accident, laissant donc les deux sœurs vivre seules, avec une quantité certes importante de provisions mais qui bien sûr s’amenuise au fil du temps. Chacune des sœurs a un projet : Nell souhaite entrer à Harvard, université qui lui avait signifié avant que les communications ne soient coupées que son dossier était excellent et qu’il ne lui manquait plus qu’à passer un examen pour assurer sa place. La jeune fille ne sait même pas si l’université est encore ouverte, si Boston existe encore, mais elle étudie tous les jours avec les moyens du bord, lisant chaque article de l’encyclopédie familiale…Quant à Eva, c’était une danseuse promise à un brillant avenir qui continue à s’entraîner avec ses chaussons en lambeaux malgré l’absence de musique – sans électricité, difficile de faire fonctionner un lecteur de cd…

Difficile de ne pas s’attacher à Nell et Eva, et surtout à Nell puisque c’est la narratrice, et que l’on connait tout de ses sentiments et de ses interrogations. Curieusement, la vie des sœurs n’est pas si bouleversée par la disparition de la civilisation puisqu’elles ont toujours vécu isolées de la société et entre elles, gérant leurs journées comme elles l’entendaient, sans obéissance à une structure comme l’école. Finalement, seules deux choses sont importantes pour elles : la réalisation de leur projet personnel (Harvard et la danse) et la survie. N’ayant accès à aucune information, les sœurs ne savent pas à quel point la situation est grave, ni si elle est durable. L’espoir que l’électricité revienne, que les magasins soient de nouveau approvisionnés, est donc bien présent, et les porte dans leurs activités quotidiennes. La cohabitation entre les sœurs se passe très bien, jusqu’à ce que les ressources deviennent limitées et que des arbitrages doivent être faits – des éléments extérieurs vont également perturber l’équilibre du foyer…

Lorsque leurs ressource se raréfient – et alors même que leurs besoins augmentent – les filles doivent revenir à l’essentiel et trouver dans leur environnement immédiat de quoi vivre et se soigner : planter fruits et légumes dans le potager, exploiter les ressources de la forêt en gibier, glands et plantes, se référer à l’encyclopédie pour le savoir manquant.

Outre l’histoire en elle-même qui est très intéressante, et très bien écrite, portée par la voix de Nell, l’auteure nous livre une réflexion très riche sur la survie de l’humanité. L’espérance, l’indépendance et les livres sont bien sûr des composantes essentielles. Mais Jean Hegland va plus loin : pour continuer à vivre, il faut se rapprocher de la nature et être en communion avec elle, et surtout faire table rase d’un passé qui n’existe plus, un passé qui ne peut qu’être dangereux, physiquement comme moralement par la nostalgie qu’il génère. Une simplicité volontaire salutaire puisqu’on ne se concentre que sur l’essentiel et sur l’environnement immédiat tout en regardant uniquement vers l’avenir. 

« Dans la forêt » de Jean Hegland est un très beau roman, qui possède un vrai souffle à la fois littéraire et idéologique.  La romancière semble avoir écrit un certain nombre de livres, dont aucun autre n’a été traduit en français. J’espère donc qu’ils seront bientôt publiés car « Dans la forêt » est extrêmement prometteur.

Publié en Janvier 2017 chez Gallmeister, traduit par Josette Chicheportiche, 304 pages.

2e lecture de la rentrée littéraire de Janvier 2017.

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36 commentaires sur “Dans la forêt – Jean Hegland

  1. Je suis justement en train de lire « Station Eleven » et tu pointes bien le fait que ce genre de livre est destiné aux personnes qui ne sont pas adeptes de ce genre de littérature! (Je déteste la science-fiction!) Mais là, avec, je dois dire que je m’y sens bien !

    C’est dingue qu’il ait fallu attendre autant de temps pour qu’il soit publié!

    1. il y a plein de romans qui sont publiés en France des décennies après leur sortie aux USA – Cambourakis et Mr Toussaint Louverture en ont fait traduire plusieurs…
      Mais oui, c’est génial que l’on puisse lire avec autant de plaisir des romans post-apocalyptiques! moi aussi je ne suis pas fan de science-fiction, mais j’aime quand même ces romans ou séries (comme Walking Dead, même s’il y a des zombies) qui sont plutôt basés sur la survie, la communauté, l’humanité.

  2. A force de la voir sur les blogs, je suis très tentée! Je ne participe pas au challenge Gallmeister (j’en ai lu une quarantaine depuis le début du blog, donc ça va bien) mais reste aux aguets si c’est nature writing!

  3. C’est un livre vraiment très chouette ! Le côté post-apocalyptique n’est pas trop présent, juste ce qu’il faut. En plus, avec une héroïne qui s’appelle Eva, tout pour plaire 😉

    1. ah, si Station Eleven t’a plu, il y a de grandes chances que celui-ci te plaise aussi, même si la construction et l’esprit (Dans la Forêt est plutôt un huis clos) sont quand même différents

    1. il se vend tant que ça ? je t’avoue que je ne regarde jamais vraiment les ventes d’un livre, sauf quand je tombe sur un article qui recense les best-sellers de Noël ou de l’année…

  4. Elle ne s’appelle pas Eva pour rien la narratrice, non ? Ils me semblent qu’elles retournent dans le jardin d’Eden (La forêt pour le coup) les deux frangines à la fin… Bon, ok, j’extrapole peut-être un peu. J’ai bien aimé mais j’en retiens surtout le coté très politique. L’auteure veut clairement faire passer un message avec ce roman.

  5. Bonjour Eva,
    Je découvre le blog à la faveur de la lecture entousiaste du livre de Jean Hegland « dans la foret ». Comme beaucoup des lecteurs qui ont donné leur avis, je ne suis pas fan de sciences fiction, ni d’anticipation.Mais là, c’est une belle découverte! J’attends la traduction d’autres oeuvres de J.Hegland. .. lui ayant laissé un message sur son @ mail, j’ai reçu avec bonheur une reponse de sa part. Elle sera presente au festival « Etonnants voyageurs de St Malo ».
    Par aileurs, connaissez vous »le mur invisible  » de Marien Haushoffer? J’y ai beaucoup pensé en lisant » dans la foret ».
    A bientôt pour de nouveaux échanges.
    Annie

    1. Bonjour Annie
      merci pour ce petit mot. Je suis également impatiente de lire d’autres romans de Jean Hegland, avec le même plaisir je l’espère.
      Je ne pense pas aller à St Malo, mais j’aimerais beaucoup rencontrer cette auteure.
      Je ne connaissais pas du tout « Le Mur Invisible », merci pour ce conseil de lecture!
      A bientôt
      Eva

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