Mes mille et une nuits – Ruwen Ogien

« Mes mille et une nuits » est un ouvrage du philosophe Ruwen Ogien que j’ai eu l’occasion de lire dans le cadre du Prix France Télévisions dont je suis jurée dans la catégorie « essais ». Je lis finalement assez peu d’essais mais j’avais eu vent de ce livre car l’auteur avait été invité à La Grande Librairie, dans la même émission que Patrizia Paterlini-Bréchot, oncologue et chercheuse dont j’ai également lu l’ouvrage « Tuer le Cancer » toujours dans le cadre du Prix (je vous en parlerai donc prochainement).

Ruwen Ogien écrit dans cet ouvrage sur la maladie, un thème qui le touche de près puisqu’il est atteint d’un cancer du pancréas depuis plusieurs années. Il aborde donc le sujet avec un regard de philosophe, mais aussi à travers son cas personnel. Je ne suis pas une grande adepte d’ouvrages philosophiques – pour être tout à fait honnête, ma plus basse note au bac a été dans cette matière, presque la moitié de la note que j’ai eu en sport, bref… – mais le style de Ruwen Ogien est très accessible, et l’auteur a la capacité d’expliquer de façon très simple et fluide les concepts qu’il emploie. 

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Ruwen Ogien

Le fil conducteur de « Mes mille et une nuits » est sa révocation du dolorisme, ce courant de pensée qui met en avant le côté positif de la maladie, qui nous rendrait meilleur, porté par le célèbre aphorisme de Nietzsche « Ce qui ne me tue pas me fortifie » (qui est souvent transformé en « Ce qui ne me tue pas me rend plus fort ») issu du « Crépuscule des Idoles ou comment philosopher à coups de marteau » – un titre qui m’a toujours réjouie. Une position jugée insupportable par Ruwen Ogien, qui étudie tout ce à quoi peut être confronté le malade de longue durée: souffrance physique, peur de la mort, difficultés financières, mise au ban de la société, jugement sur son mode de vie…Le philosophe réfute toutes les métaphores qui envisageraient le malade comme un « guerrier » ou comme un « saint », des visions pseudo-positives qui sont pour lui l’expression de la cruauté sociale envers le malade – celui qui ne vainc pas la maladie n’est donc pas assez valeureux ou assez bon pour survivre…

Ruwen Ogien explore à 360 degrés le statut de malade : par rapport à lui-même, par rapport à la société, par rapport au corps médical, par rapport à l’industrie médicale, par rapport aux autres malades…Il ne s’appuie pas que sur son cas personnel, mais aussi sur des articles et ouvrages : publications scientifiques, essais mais aussi récits autobiographiques et romans : « Une mort très douce » de Simone de Beauvoir, « Journal d’un curé de campagne » de Georges Bernanos, « D’autres vies que la mienne » d’Emmanuel Carrère, « La leçon d’anatomie » de Philip Roth, et des dizaines d’autres…La référence à Schéhérazade est double : comme elle, le malade est en sursis permanent et vit au jour le jour. Comme elle également, pour survivre, il doit jouer une comédie sociale : faire bonne figure à la fois devant le personnel médical en se comportant comme un patient modèle, mais aussi rester de bonne humeur, vaillant et positif pour ne pas faire fuir son entourage ou être soupçonné par la société d’être un parasite.

L’ensemble de l’ouvrage est très cohérent, la bibliographie est riche mais les citations ne viennent pas alourdir le récit, qui est fluide et accessible à tous. Bien sûr l’auteur parle souvent de lui, mais il arrive à garder la distance nécessaire pour produire une oeuvre philosophique et non un récit autobiographique. S’il évoque ses souffrances et ses peurs, il ne tombe pas dans le pathos pour autant, et parsème le récit de nombreux traits d’humour, ce qui fait de « Mes mille et une nuits » un ouvrage plaisant à lire malgré le thème qui pourrait en rebuter plus d’un.

« Mes mille et une nuits » est le premier ouvrage que je lis de Ruwen Ogien, et j’ai été conquise tant par sa réflexion que par son style. L’auteur a trouvé le bon équilibre entre le personnel et l’universel et arrive à générer facilement un questionnement chez le lecteur sur la place du malade et de la maladie dans notre société. Un livre accrocheur et accessible, même pour ceux qui comme moi ne sont pas des aficionados des ouvrages philosophiques.

Publié en Janvier 2017 chez Albin Michel, 250 pages.

14e lecture de la Rentrée Littéraire de Janvier 2017.

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12 commentaires sur “Mes mille et une nuits – Ruwen Ogien

  1. Bon, pas vraiment le style de livre que je lis… même si je ne doute pas qu’il soit intéressant et instructif.
    Sinon, tu ajoutes à la difficulté, dis-moi : ce n’est pas évident de lire une typo gris clair sur un fond gris foncé, ça ne ressort pas beaucoup 😉

      1. oui ça devait être un bug car je n’ai rien changé!
        moi non plus ce n’est pas le genre de livre que je lis habituellement, mais avec ce Prix je suis clairement sortie de ma zone de confort!

  2. donc tu as eu une note vraiment nulle au bac en philo ??? bon moi j’ai eu une très bonne note (ouf c’était coefficient 7) !
    mais revenons à nos moutons, oui un sujet grave – après si je trouve qu’il a raison de mettre à bas certaines idées, je ne suis pas forcément d’accord avec l’ensemble de ses propos – je ne crois pas que les gens sous-entendent en encourageant une personne malade à vaincre la maladie qu’il est un « perdant » s’il ne réussit pas – j’espère que son propos va plus loin que ça pour un philosophe.

    Je suis d’accord sur le fait qu’une maladie ou un accident ou un évènement tragique va fragiliser la personne, mais dans le temps, si elle survit, cela changera sa vision des choses, d’où peut-être la maxime « cela me fortifie ». Tu me comprends ?

    J’ai croisé pas mal de personnes autour de moi à cause de ce foutu crabe, certaines sont malheureusement décédées mais d’autres sont là, certains depuis vingt ans et ils ont réagi différemment face à la maladie. Il n’y a pas une réaction unique face à la maladie.

    Bref, je trouve ça bien si tu as aimé cet ouvrage, et peut-être est-il bénéfique à une personne atteinte d’un cancer ou à ses proches?

    1. j’ai eu 7 😀 ma seule note en dessous de la moyenne, et un coef 3 car j’étais en S
      oui heureusement ses propos vont plus loin que ça, mais il a clairement un parti pris anti-dolorisme au sens large du terme, et il enfonce bien le clou. son état y est sans doute pour beaucoup (cancer depuis plusieurs années, multiples chimios et opérations…) car ce genre de phrase (que je comprends tout comme toi)un peu toute faite peut profondément agacer quand on se dit que même si on survit, on sera diminué et jamais plus vraiment comme avant…

      Je ne sais pas trop si une personne atteinte d’un cancer aimerait lire ce livre – l’auteur indique que ses chances de survie ne sont pas extraordinaires et il a un point de vue parfois un peu poil à gratter sur les réactions de l’entourage et sur le corps médical (il ne s’épargne pas non plus)…peut-être plus pour des proches?

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