Les aventures de l’infortuné marrane Juan de Figueras – Jean Pierre Gattegno

Je lis régulièrement des ouvrages (romans ou essais) mettant en scène des Ashkénazes, mais j’avoue être moins familière du monde séfarade, c’est à dire des Juifs originaires d’Espagne et du Portugal. « Les aventures de l’infortuné marrane Juan de Figueras », de Jean-Pierre Gattegno se déroule en Espagne au XVIIe siècle. Juan est un adolescent qui vit à Séville avec sa famille et se pense catholique. Il ignore cependant que ses parents sont des marranes, issus d’une lignée de Juifs convertis au catholicisme pour échapper à leur expulsion décrétée en 1492 par Isabelle la Catholique et aux persécutions de l’Inquisition.

Le père de Juan l’envoie brusquement dans un collège à Valence, à l’autre bout du pays, afin d’étudier la prêtrise. Les conditions de vie de Juan y sont effroyables – il y découvre la face sombre de l’humanité et, pour se sortir de cette situation, commet lui-même des actes inavouables. Dans sa fuite pour retourner à Séville, il va rencontrer toute une galerie de personnages peu recommandables et devoir lutter par tous les moyens pour sauver sa peau…

J’ai dévoré ce roman ! Juan est extrêmement attachant, et ses aventures, inscrites dans la tradition picaresque, sont haletantes. Dans cette Espagne où il risque quotidiennement de se faire dénoncer en tant que marrane, et de se faire tuer, Juan se retrouve lui-même à devoir mentir, voler, dénoncer, tuer pour s’en sortir. En effet, quelle que soit la classe sociale de celles et ceux qu’il trouve sur son chemin – hommes d’Eglise, mendiants, nobles – et même si certaines personnes de valeur vont l’aider, la plupart sont mal intentionnés et veulent profiter de la situation de faiblesse de l’adolescent. Même ceux qui paraissent aidants ou aimants font souvent preuve d’ambiguïté et ont des raisons cachées de s’intéresser à Juan. Les personnages qu’il croise sont d’ailleurs très travaillés, tout en nuances.

Difficile d’ailleurs de ne pas trouver un écho au nazisme et à la période de la Seconde Guerre Mondiale dans ce roman qui se déroule pourtant trois cents ans plus tôt : notion du « sang pur »,  persécutions, faux réseau d’aide aux Juifs, dénonciations, fausse identité ou exil pour sauver sa peau… j’ai d’ailleurs appris que Salonique, à l’époque dans l’empire ottoman, avait été une ville d’accueil pour les Séfarades quittant l’Espagne, jusqu’à être longtemps majoritairement peuplée de Juifs.

Ces aventures se lisent toutes seules, un très beau roman ! 

Publié en 2018 aux éditions de l’Antilope, 448 pages.

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