« Je vous écris dans le noir » s’inspire de l’affaire Pauline Dubuisson qui a défrayé la chronique dans les années 50.
En 1962, libérée depuis peu de prison et aspirant à l’anonymat, Pauline est confrontée à la sortie du film « La Vérité » de Clouzot qui retrace son histoire et dans lequel son personnage, joué par Brigitte Bardot, n’a pas le beau rôle. Elle s’exile au Maroc pour recommencer une nouvelle vie et y rencontre Jean, qui souhaite l’épouser. Elle se retrouve donc dans la même situation que celle qui l’a poussée au crime en 1953 : doit-elle dévoiler son passé à Jean ou garder le secret? « Je vous écris dans le noir » est le récit de sa vie, qu’elle écrit à Jean.
Pauline a grandi à Dunkerque et est adolescente quand la Seconde Guerre Mondiale éclate, guerre dans laquelle deux de ses frères vont mourir, ce qui va plonger sa mère dans une grande dépression. Pauline est une brillante élève, mais elle est néanmoins exclue de l’école pour avoir couché avec des garçons. Avant qu’elle entre en faculté de médecine, son père lui trouve un emploi d’infirmière à l’hôpital et la pousse dans les bras du médecin-chef allemand. Il espère qu’avec les victuailles que Pauline va pouvoir récupérer grâce à son amant, son épouse va enfin sortir de sa dépression. Mais à la libération, Pauline, à cause de cette liaison, est tondue et arrêtée. A la prison, elle est violée par des dizaines d’hommes avant que son père ne parvienne à la délivrer. Quelques années plus tard, alors qu’elle est étudiante en médecine, elle se fiance à son condisciple Felix. Par souci d’honnêteté, elle lui révèle son passé, mais celui-ci rompt alors son engagement et la couvre de mépris. Elle le tue alors de plusieurs balles de revolver.
« Je vous écris dans le noir » est un récit aussi bouleversant que passionnant. On sent que Jean-Luc Seigle est ému par cette femme et qu’il prend fait et cause pour elle. Il regrette notamment qu’aucune femme célèbre, par exemple Simone de Beauvoir, n’ait pris la défense de Pauline Dubuisson, qui sera décrite dans les médias comme la garce ultime. Le fait d’avoir entretenu une liaison avec un médecin allemand et d’avoir été tondue à la libération -même si à l’époque elle n’avait même pas dix-huit ans – jouera continuellement en sa défaveur, d’autant plus que Félix venait d’une famille de résistants, et en fera une femme que l’on n’a pas envie de défendre mais seulement d’accabler, alors que les crimes passionnels sont souvent appréhendés avec indulgence en France. Jean-Luc Seigle souligne d’ailleurs que la France a pardonné aux Nazis mais pas aux femmes tondues, et qu’aucune femme n’a jamais écrit sur l’affaire Dubuisson, seulement des hommes.
Pauline ne sera soutenue que du bout des lèvres par sa mère, archétype de la femme au foyer qui ne comprendra jamais sa fille, aura été trahie par son père, homme trouble qui poussa sa fille adolescente dans les bras d’un homme de trente ans plus âgé et se suicidera le lendemain de son arrestation pour le meurtre de Felix après avoir envoyé une lettre accablant sa fille aux parents du jeune homme. Au delà même d’un jugement sur Pauline – car même si elle peut bénéficier de circonstances atténuantes, elle a quand même tué un homme – le récit aborde des thèmes beaucoup plus universaux : la quasi impossibilité à deux reprises pour Pauline de refaire sa vie après une condamnation, le choc de voir sa vie romancée et adaptée sur grand écran sans qu’une quelconque permission lui ait été demandée…
Jean-Luc Seigle pointe du doigt en substance la condamnation de la femme pécheresse par la société, qui ne lui pardonne pas ses écarts de conduite : comment aurait-on réagi, pour les mêmes faits, si Pauline avait été un homme? Un lycéen aurait-il été renvoyé de l’école pour avoir couché avec des filles? Aurait-on reproché à un étudiant en médecine d’être un psychopathe car il ne s’évanouit pas lors des opérations? (surtout après avoir travaillé plusieurs années comme infirmier pendant la guerre!) Aurait-on arrêté et torturé un adolescent pour avoir couché pendant la guerre avec une femme allemande? Aurait-on reproché ces mêmes faits à un homme pendant toute sa vie?
Cette biographie romancée de Pauline Dubuisson racontée à la première personne est une vraie réussite, un beau portrait de femme à la vie trouble, avec un contexte historique, psychologique et sociologique des plus intéressants.
12e participation au Challenge Rentrée Hiver 2015 organisé par Valérie et hébergé par Laure de Micmelo.
Publié le 7 Janvier 2015 aux Editions Flammarion, 233 pages.
JLuc Seigle à LGL était très intéressant, je ne connaissais pas cet auteur et ai eu envie de le lire ( pas forcément sur ce titre, néanmoins , trop sombre pour moi en ce moment …)
Ce roman a l'air en effet très intéressant, et toutes ces questions que tu soulèves à la fin auraient à mon avis la même réponse…
Un roman magnifique qui m'a énormément touchée.J'aime beaucoup ton billet.
Ariane
Comme Mior, j'avais trouvé Jean-Luc Seigle passionnant lors de son passage à la grande librairie. Je trouve cette histoire très intéressante et j'ai vu le film de Clouzot avec BB.
@Titine : je suis étonnée que Jaenada écrive également sur cette affaire!