« Les fils de rien, les princes, les humiliés » est un roman de Stéphane Guibourgé dont je n’aurais jamais entendu parler si je ne l’avais pas repéré chez Jérôme.
Dans les années 80, Falco, adolescent banlieusard qui vient d’une famille dévastée – le père, homme violent qui le bat, est un ouvrier touché de plein fouet par le chômage, la mère est partie, le frère a disparu – intègre une bande de skinheads, la Meute, qui va devenir sa nouvelle famille. Il est pris en main par le chef de la bande, Lev, et va participer aux bastons, aux viols, aux vols, aux trahisons…jusqu’au meurtre qui l’enverra en prison. Aujourd’hui âgé de 47 ans, vivant isolé avec son chien, construisant tout seul sa maison, il se souvient et fait également le bilan de sa vie, lui qui n’a pas su à sa sortie de prison être un mari pour sa femme, un père pour son fils.
Voilà un texte fort, violent, percutant, avec des descriptions qui nouent l’estomac et un style parfois haché qui secoue. Même si le récit de Falco est sans concession, et que le personnage n’a rien d’aimable, difficile de ne pas s’attacher à l’adolescent qui n’a rien devant lui à part un horizon bouché, rien derrière lui à part un père qui ne peut être un modèle ni sur le plan personnel, ni sur le plan professionnel. Difficile aussi de ne pas s’attacher à l’adulte, qui ne s’est jamais remis des violences subies et commises et de son séjour en prison, et qui essaye cahin-caha de recréer un lien social, en se raccrochant aux pierres de la maison qu’il construit et au souvenir de son fils.
Falco est un homme éminemment seul, éclairé seulement par quelques souvenirs heureux : la complicité avec son grand frère avant que celui-ci ne disparaisse, les moments partagés avec Sarah la jeune gitane dont Falco trahira par la suite le clan. Son passé resurgit par bribes, avec donc forcément des ellipses : qu’est-il arrivé à son frère, que s’est-il passé lors de l’attaque du camp des gitans, que sont devenus sa femme et son fils?
Stéphane Guibourgé, auteur que je ne connaissais pas, décrit dans « Les fils de rien, les princes, les humiliés », au très beau titre, la spirale de la violence raciale, des meurtres gratuits, de la haine…et la difficulté de se reconstruire, de parvenir à mener une vie apaisée après le dérapage irrattrapable. Pas de concession, pas vraiment d’explications, pas de misérabilisme, juste un constat puissant de vies meurtries et gâchées. Un livre dont on ne ressort pas indifférent, une écriture coup de poing à découvrir.
55e contribution au Challenge 1% rentrée littéraire 2014 organisé par Hérisson …
Publié le 20 Août 2014 aux Editions Fayard, 208 pages.
Je ne me serai peut-être pas arrêtée spontanément sur ce livre, mais ton billet donne envie de le découvrir. Je note, merci !
Une grosse claque pour moi, mais tu le sais déjà 😉
Dommage que ce roman n'ait pas rencontré le succès qu'il mérite.
@Jérôme : on en a très peu parlé dans la presse ou sur les blogs, il n'y a que chez toi que je l'ai repéré…
@Tant qu'il y aura des livres : moi non plus, sans le billet de Jérôme, je n'aurais très certainement pas lu ce roman…