Qui n’a pas lu le journal d’Anne Frank quand il était adolescent? La jeune fille, symbole des enfants juifs tués par les Nazis, a laissé grâce à son Journal un témoignage riche et vivant, celui de deux années passées dans une cachette sans jamais pouvoir en sortir, mais sans perdre goût à la vie ou foi en l’humanité, en gardant ses rêves et ses espoirs. Anne Frank, morte parce qu’elle était juive, était une adolescente comme les autres, avec ses amours, ses amis, son goût pour les livres et les stars de cinéma, qui se disputait avec sa sœur et s’entendait mal avec sa mère.
Le narrateur d' »Anne F. », professeur de lettres, est très perturbé par un attentat terroriste qui vient de se produire, et dans lequel son propre père a été blessé. Il se sent déstabilisé et coupable, car celui qui a commis l’attentat est un jeune homme qu’il a eu en cours – il avait vu que cet élève était à la dérive et estime que s’il lui avait tendu la main au moment où celui-ci en avait besoin, il aurait pu empêcher le drame. Pendant toute une nuit, il écrit une lettre à Anne Frank, dont il vient de relire le Journal, pour lui dire ce que ses écrits lui ont apporté, et pour lui confier son mal-être, ses doutes et ses espoirs.
Difficile d’évoquer Anne Frank dans un livre sans que l’écriture vire au mélo et aux bons sentiments, et c’est ce que j’ai d’abord craint avec « Anne F. », écrit de façon un peu trop lyrique à mon goût et partant d’un prétexte qui m’a semblé trop outré – était-il vraiment nécessaire de lier cet hommage à Anne Frank, mais surtout au pouvoir de la littérature et de la culture à un attentat commis par un adolescent? D’autant plus qu’on en saura finalement très peu sur ce jeune homme, à part qu’il était bon élève et issu d’un milieu modeste. Rien sur sa famille, sur son entourage, ses motivations… Le début du récit m’a également fait tiquer, car le narrateur, jugeant qu’il a échoué en tant que professeur et en tant qu’adulte, songe à se suicider, ce qui m’a semblé bien exagéré.
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Pourtant je me suis laissée entraîner par la plume d’Hafid Aggoune, notamment quand son récit devient plus personnel, et qu’il évoque ses origines, et surtout la relation avec son père, faisant un parallèle avec les difficultés qu’Anne Frank rencontrait avec sa propre mère. Le récit devient alors un bel hommage à l’éducation, à la culture, et à l’amour des parents. Ces parents qui peuvent, comme son père, ne pas être forcément très éduqués, ne pas avoir eu d’accès aux études et aux livres, être ouvrier dans une usine, venir d’un milieu modeste, mais qui inculquent des valeurs solides à leurs enfants et qui veulent le meilleur pour eux. L’auteur se souvient avec nostalgie d’un temps où on ne se préoccupait pas des origines de ses camarades de classe, et où la seule religion qui comptait à l’école et pour les parents était celle des bonnes notes.
J’ai trouvé très émouvant le père du narrateur, cet homme qui a trouvé la libération par la course comme son fils l’a trouvée par les livres. Mais « Anne F. » c’est aussi l’hommage à la bibliothérapie, à la résilience, au poids des mots contre le Mal, à travers ce beau portrait d’Anne Frank, et de ce qu’elle a apporté au monde grâce à son Journal, ce réconfort que ses mots ont pu donné, en premier lieu à son père, Otto Frank, qui perdra sa femme et ses deux filles dans la Shoah, et que le Journal d’Anne a aidé à survivre.
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Malgré quelques bémols sur l’écriture un peu trop lyrique à mon goût et parfois une surcharge de bons sentiments – notamment sur le rôle de l’enseignant- j’ai aimé ce joli texte plein d’humanité qui remet le dialogue, qu’il soit réel ou littéraire, au centre de tout, et qui montre que les livres peuvent aider à guérir et à se dépasser. « Anne F. » d’Hafid Aggoune est un récit qui fait du bien et qui donne envie de relire le Journal d’Anne Frank, deux bonnes raisons de se plonger dans cette longue lettre. (et si vous en voulez une troisième, la photo de l’auteur vous montrera qu’ Hafid Aggoune est certainement le plus bel écrivain de cette rentrée littéraire ;))
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Publié le 26 Août 2015 chez Plon, 146 pages.
2eme participation au Challenge 1% Rentrée Littéraire 2015.
Il m'attends celui-là !
(mais depuis quand juge-t-on un écrivain sur son physique 😉 )
@ Jérôme : je ne le juge pas, je le prends comme un bonus 🙂 (et il est sacrément beau quand même ! :))
Très joli billet qui me donne envie de relire Anne Frank et de lire celui-ci ! Bon, pas mal du tout le loustic : ok pour la rentrée littéraire mais j'avoue que sinon moi c'est Matt Lennox qui me "parle" (physiquement parlant) .. ok Jérôme tu as le droit de fuir !
Si je le croise pourquoi pas, mais il faudrait que je relise Le journal d'Anne Franck d'abord.
@ Tiphanie : au début j'ai cru que tu parlais de l'auteur, quand tu as écrit "si je le croise pourquoi pas" ^^
@ Electra : ah je ne savais pas à quoi ressemblait Matt Lennox…c'est drôle, il n'a pas du tout une tête d'écrivain, on dirait un acteur un peu bad boy de films d'action 🙂
Je crains effectivement les bons sentiments et le lien tarabiscoté avec Anne Franck. Il ne me reste plus qu'à le lire pour voir ! 😉