Les romans sur la Seconde Guerre Mondiale sont légion, et on pourrait penser que 70 ans après la fin de la guerre, on a fait le tour de la question. Pourtant certains auteurs arrivent encore à aborder cette période à travers un angle original, et c’est le cas avec « Vera Kaplan » de Laurent Sagalovitsch, puisque ce roman évoque une femme juive ayant dénoncé des coreligionnaires pour survivre.
Laurent Sagalovitsch s’est inspiré d’une histoire vraie, celle de Stella Goldschlag qui fut condamnée à 10 ans de prison à la fin de la guerre pour avoir dénoncé de 600 à 3000 Juifs afin d’éviter la déportation de ses parents, puis la sienne, ceux-ci ayant été envoyés à Auschwitz. Dans le roman, Vera Kaplan, âgée de soixante-dix ans, malade et sur le point de se suicider, écrit une lettre à sa fille qui lui a été enlevée bébé, alors qu’elle était emprisonnée, et qu’elle n’a jamais revue, celle-ci ayant été adoptée par une famille israélienne. C’est en fait le narrateur, un jeune homme, qui reçoit cette lettre via un avocat, sa propre mère étant elle-même décédée. Dans cette lettre, Vera Kaplan explique à sa fille pourquoi elle a agi ainsi. Elle lui raconte également ses recherches pour la retrouver, et son parcours pour se rapprocher d’elle. La lettre est accompagnée de son journal intime de l’époque, qui évoque son « embauche » par la Gestapo contre la promesse qu’elle et ses parents ne seront pas déportés, et ses premières dénonciations.
C’est un sujet très délicat et l’auteur sait trouver la bonne distance pour raconter sans juger, et surtout remettre les décisions, les actions dans leur contexte. Le narrateur, sorte de double de l’auteur, prend connaissance de l’histoire de cette grand-mère qu’il n’a pas connue, mais sans rejet, il l’appréhende plutôt comme une clé pour comprendre l’attitude de sa propre mère, une femme solitaire et routinière. Il n’oublie pas de rappeler que Vera est née juive en Allemagne en 1922, et que statistiquement il y avait de grandes chances pour que son histoire se termine mal – née trente ans après, elle aurait certainement mené une vie tout à fait normale, dans un anonymat bien loin du statut de monstre qui lui collait à la peau.
Difficile de dire comment on aurait réagi dans la même situation, traqué et promis à une mort certaine. Vera, à travers sa lettre comme à travers son journal intime, n’est ni sympathique ni attachante. Dans sa lettre, elle a des mots durs et choquants envers ses coreligionnaires, ceux qu’elle a dénoncés. C’est une femme qui fustige les optimistes, les résignés, ceux qui ont eu l’occasion de se battre ou de fuir et ne l’ont pas fait. Quant à elle, elle veut vivre et survivre, à n’importe quel prix, même celui de dénoncer d’autres personnes – selon elle, elles auraient de toutes façons été arrêtées et tuées, donc autant que leur mort permette à une jeune femme comme elle de vivre. Elle vivra, certes, mais verra ses parents déportés, passera dix ans en prison, perdra la garde de sa fille bébé en étant emprisonnée et ne la retrouvera jamais.
Je n’ai pas vraiment accroché à la forme que propose Laurent Sagalovitsch – la première partie de ce court roman est une lettre, la deuxième, un journal intime – deux procédés narratifs finalement assez lourds qui ne m’ont pas trop convaincue. Je ne pense pas garder un souvenir impérissable de « Vera Kaplan », préférant finalement les parties consacrées au petit-fils, notamment l’épilogue. Je vois plus en ce roman l’occasion de découvrir un épisode méconnu de la Seconde Guerre Mondiale, et une piste de réflexion, plutôt qu’un plaisir littéraire. Un livre qui a le mérite de créer un questionnement chez le lecteur.
Publié en Août 2016 chez Buchet Chastel, 160 pages.
29e lecture de la Rentrée Littéraire 2016.
Un court roman, c’est un point positif pour moi mais vu ce que tu dis concernant la forme, je passe mon tour.
oui en ce moment, je suis à la recherche de romans courts…
De l’auteur j’avais lu Loin de quoi? il y a longtemps, et excellent souvenir.
Celui ci… Heu là, j’ignorais tout de cette femme, incroyable!
moi aussi, c’est un sujet assez tabou, je pense…
Je note ce titre que tu me conseilles.
Pas très tentée, du coup…
faut dire que mon billet n’est pas hyper enthousiaste…
J’ai découvert cet auteur par hasard, à l’occasion d’un déstockage de médiathèque, avec son titre Dade City, que j’avais trouvé très original. Apparemment son dernier roman est très différent (Dade City est une fiction qui flirte avec le surnaturel, dans une atmosphère très oppressante), et je dois dire que ton billet ne me fait pas très envie !
c’est un auteur qui a l’air plutôt prolifique, j’en essayerai un autre, peut-être celui-là d’ailleurs
Lu à sa sortie et je n’ai toujours pas pris le temps d’en parler. J’ai aimé ce roman, j’avoue que la narration ne m’a pas gênée du tout…
alors je suis impatiente de lire ton avis !