La Loi de la Mer – Davide Enia

Le précédent livre de Davide Enia – le roman « Sur cette terre comme au ciel » – ne m’avait pas totalement convaincue, et je ne suis pas sûre que j’aurais lu son nouveau livre, « La Loi de la Mer » si je ne l’avais pas reçu dans le cadre du Prix ELLE.

Dans ce récit, Davide Enia évoque ses séjours sur l’île de Lampedusa. Il y a quelques années, Lampedusa m’évoquait surtout l’auteur du « Guépard », Giuseppe Tomasi di Lampedusa. Aujourd’hui, cette île est tristement célèbre pour les naufrages d’embarcations de migrants, et le nombre de personnes qui se sont noyées en tentant d’atteindre ses côtes.

L’auteur a des amis vivant à Lampedusa, chez qui il séjourne. Il rencontre des personnes habitant sur l’île qui se sont retrouvées par la force des choses témoins voire acteurs du drame des migrants, et il assiste lui-même à des débarquements.

Il y a quelques échanges avec les réfugiés – notamment avec le témoignage de Bemnet, Erythréen qui raconte à Davide Enia son périple et ses 21 jours en mer avec 79 compagnons dont 75 mourront – , mais le parti pris est plutôt de donner la parole aux habitants de l’île et aux personnes impliquées dans les sauvetages et dans l’accueil des migrants – médecins, légistes, garde-côtes, de recueillir leur ressenti… Comme ce plongeur, qui lui dit se sentir proche des idées fascistes :

 » Ici on sauve des vies. En mer, toutes les vies sont sacrées. Si quelqu’un a besoin d’aide, on lui porte secours. Il n’y a ni couleur de peau, ni ethnie, ni religion. C’est la loi de la mer. »

« Le bébé est tout petit. la mère très jeune. Ils sont à cinq mètres. Et près de moi trois personnes en train de se noyer. Lesquels sauver, s’ils coulent tout en même temps.? Vers qui aller? Que faire? Dans certaines situations, tu penses mathématiques. Trois, c’est plus que deux. Trois vies, c’est une vie de plus ».

Des personnes qui repêchent des noyés à la force du bras, qui se retrouvent confrontées à des choix lourds de conséquences, à des réfugiés qui ont été victimes d’atrocités et d’actes de barbarie, à des cadavres d’enfants. Des gens qui portent désormais un cimetière en eux. Et puis cette scène apocalyptique de sauvetage en mer, l’une des scènes les plus dures du livre, qui se termine dans l’horreur absolue.

Davide Enia se rend sur l’île avec son père, un homme taiseux, photographe, dont il va se rapprocher durant ces séjours. L’écriture de ce livre se déroule également en parallèle de la fin de vie de son oncle, atteint d’un cancer – dans l’urgence pour que Beppe puisse lire le manuscrit achevé. Un moment personnel de douleur, d’injustice et de chagrin, une histoire familiale qui s’entremêle avec l’Histoire collective.

« La Loi de la Mer » est un livre dur, poignant, mais absolument nécessaire. C’est un récit vraiment évocateur, j’avais l’impression d’être sur l’île en compagnie de Davide Enia et, comme les personnes qu’il interroge, de voir l’insoutenable devant moi, sur ma terrasse, dans mon jardin, de mon bateau, et de mes propres yeux, et non via la distance des médias. Difficile après avoir lu ce livre de détourner le regard. Une lecture essentielle.

Publié en Septembre 2018 chez Albin Michel, traduit par Françoise Brun, 240 pages.

20e lecture de la Rentrée Littéraire de Septembre 2018.

 

8 commentaires sur “La Loi de la Mer – Davide Enia

  1. On verra, s’il est à la bibli. Je crains que ce ne soit dur. Des ‘survivants’, j’en connais , ils en parlent peu. Mais ce peu est déjà difficile.

  2. Oh lala… on n’est pas du tout d’accord 🙂 (Je viens de publier mon article concernant les trois romans de la sélection d’ailleurs)

    Je t’avoue, j’ai abandonné ce livre alors que le sujet me plaisait beaucoup mais je ne suis jamais rentrée dans le récit. L’auteur m’a perdue..

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