« Le Sillon » est un livre que j’avais envie de lire pour différentes raisons : parce qu’il a été un coup de coeur pour ma condisciple de Bibliomaniacs, Miss Léo, parce qu’il a reçu le Prix Renaudot en 2018…et aussi parce que j’ai rencontré par hasard le père de Valérie Manteau à l’occasion d’un rendez-vous professionnel qui n’avait absolument aucun lien avec le monde littéraire !
La narratrice est une Française d’une trentaine d’années qui s’est installée à Istanbul pour y rejoindre son petit ami turc. En sa compagnie, elle fréquente les milieux intellectuels, artistiques et alternatifs. La jeune femme s’intéresse à Hrant Dink, un journaliste turc d’origine arménienne, qui dirigeait un journal bilingue turco-arménien, Agos – dont la traduction française du titre est Le Sillon – et qui a été assassiné dix ans plus tôt par un nationaliste devant les locaux du journal.
Pas besoin d’être un fin connaisseur de la Turquie pour apprécier ce livre : la situation du pays est vue à travers les yeux d’une Française, donc avec la distance d’une personne étrangère qui raconte sa vie quotidienne à Istanbul – les tensions politiques, religieuses, nationalistes qu’elle ressent et dont elle est témoin, ainsi que la répression policière et judiciaire dont sont victimes les opposants au régime, dont Asli Erdogan, qui a été très médiatisée mais n’est malheureusement pas la seule, comme l’indique Valérie Manteau. C’est un portrait saisissant et passionnant de la Turquie actuelle.
Mais « Le Sillon » n’est pas un essai, c’est un ouvrage assez inclassable : si la narratrice évoque les problèmes actuels de la Turquie, et réalise un travail journalistique pour comprendre les raisons de l’assassinat de Hrant Dink, pour questionner le rapport compliqué, nébuleux, violent, que la Turquie entretient avec ses minorités, notamment kurde et arménienne, elle raconte également sa propre vie à Istanbul, celle d’une jeune femme en plein questionnement, qui se cherche, ses balades dans les rues, sa vie amoureuse qui se délite, les soirées, les verres entre amis…avec parfois une ambiance un peu éthérée qui contraste avec la richesse des propos et la densité des informations.
« Le Sillon » est un livre que j’ai trouvé vraiment très intéressant, et très pertinent tout en restant très accessible. Mon seul bémol est que, curieusement, puisque c’est un livre à la première personne, j’ai trouvé la narratrice finalement assez peu incarnée, tout comme son compagnon, qui tient une place importante dans le récit mais que je n’ai pas réussi à cerner. Cela vient sans doute du fait que même si la narratrice raconte sa vie quotidienne, elle le fait non pas par égo et pour se mettre en avant, mais bien pour être témoin, observatrice, ce qui laisse donc une curieuse impression de personnage principal qui se met en retrait. Quant au compagnon, il est la raison pour laquelle la jeune femme vit à Istanbul, mais c’est une histoire bancale, qui touche à sa fin, et on a l’impression que ce sont deux inconnus qui n’ont rien à se dire ou à faire ensemble. Mais cela crée par conséquent une ambiance étrange dans ce livre, entre des scènes et des informations très concrètes et détaillées, et une sorte de flou dans lequel la narratrice évolue, ce qui peut se révéler déstabilisant…
Malgré ce bémol, « Le Sillon » est un livre que j’ai vraiment apprécié, pour la dextérité avec laquelle Valérie Manteau rend accessible la complexité de la Turquie contemporaine mais aussi pour le talent avec lequel elle décrit la ville d’Istanbul, ses rues, ses cafés, ses ambiances – j’avais vraiment l’impression d’y être avec elle! A découvrir !
Publié en Août 2018 aux éditions du Tripode, 262 pages -Prix Renaudot
Retrouvez ce livre dans l’émission de Janvier 2019 du podcast littéraire Bibliomaniacs ici.
29e lecture de la Rentrée Littéraire de Septembre 2018.
J’aime beaucoup cette maison d’éditions, qui m’a permis de très belles découvertes, et qui fait un travail remarquable sur la forme de certaines de ses publications (je pense notamment aux titres d’Hilsenrath). Je note ce titre, la thématique tout comme la manière dont elle est traitée, me semblent très intéressantes.
oui moi aussi j’aime beaucoup cette maison, et je compte bien découvrir Hilsenrath cette année !
Ah mais je suis entièrement d’accord avec toi ! Le propos est extrêmement intéressant, mais le côté très désincarné des personnages, et en particulier de la narratrice, ne m’ont pas permis de goûter pleinement de livre. C’est dommage…
c’est un bémol que j’ai réussi à surmonter, mais oui c’est curieux que les deux personnages principaux soient si flous alors qu’on parle quand même beaucoup d’eux…
dommage donc.. finalement c’est un jeu d’équilibre difficile (entre roman et essai) – le sujet plairait par contre beaucoup à mon beau-père, passionné d’histoire ?
mon bémol ne m’a pas empêché d’apprécier ce livre, il est vraiment intéressant et passionnant !
J’ai beaucoup aimé (même si la narratrice et son petit ami restent flous) et le reste est passionnant! Dommage qu’on n’en entende pas trop parler, ce ce livre
ah quand même, il y a eu pas mal d’articles, des émissions télé…et puis le Renaudot !