Nomadland – Jessica Bruder

Je me suis toujours intéressée aux modes de vie itinérants et j’étais donc très curieuse de découvrir « Nomadland » de Jessica Bruder qui, outre son thème intriguant a aussi deux gros atouts à mes yeux : une couverture magnifique, et une maison d’édition que j’aime beaucoup, les éditions Globe.

Jessica Bruder est journaliste et a suivi pendant quelques années des travailleurs nomades américains. Ceux-ci sont d’un genre assez particulier puisqu’il s’agit de personnes du troisième âge : Linda May, qui est le fil conducteur du récit, est âgée au début du livre de soixante-quatre ans. Elle conduit une jeep qui tracte une petite caravane jaune, et se déplace de travail en travail, d’employée de nuit pour un entrepôt Amazon à gardienne de camping. Comme la plupart des personnes rencontrées dans ce livre, c’est une femme qui a toujours travaillé, exerçant souvent des métiers pas très bien payés qui ne lui permettaient pas de mettre de l’argent de côté: arrivée à un âge où elle pourrait prendre sa retraite si elle était en France, elle se retrouve avec une pension d’état de quelques centaines de dollars qui ne suffit pas à payer ses factures – et notamment son loyer –  et avec des opportunités professionnelles qui se raréfient. Ses enfants sont eux aussi en difficulté et ne peuvent que lui offrir un canapé pour dormir. Plutôt que d’être un poids pour sa famille, Linda May a donc investi dans une caravane – d’autres choisissent plutôt un mini-van ou un camping-car – afin d’éviter de payer un loyer et d’être mobile pour aller chercher du travail.

Il y a quelques moments lumineux dans ce livre – les personnes décrits par Jessica Bruder ont des difficultés, mais sont animées par une belle énergie qui les pousse à essayer de trouver des solutions : réduire les dépenses, consommer moins, aller chercher du travail où il y en a…, avec à la clé de belles rencontres, des amitiés, voire mêmes des histoires d’amour, de la chaleur humaine lors de festivals organisés par et pour ces « travellers », et de l’espoir : l’objectif de Linda May est de trouver un terrain à acheter pour construire ce qui sera sa dernière demeure, une géonef. L’histoire de Linda May et de ses camarades s’inscrit dans la tradition américaine : pas de culture de la retraite – chacun doit se débrouiller pour ses vieux jours – et nomadisme, on se déplace à la recherche d’un travail et d’une potentielle meilleure vie, comme durant la crise des années 30. Les entreprises ne s’y trompent pas, et un véritable marché de l’emploi des seniors nomades s’est créé car ceux-ci sont moins difficiles sur les conditions de travail et sont souvent vus comme plus sérieux et fiables.

Mais autant je regarde un documentaire comme  » Une Génération sur la Route » de Gabrielle Culand avec un oeil optimiste car je trouve que pour ces jeunes, vivre dans un camion et prendre la route dénote l’envie de découvrir le monde, un autre mode de vie, souvent écologique et minimaliste, plutôt que de moisir avec peu de perspectives dans une banlieue ou une petite ville,  autant je lis « Nomadland » avec un pincement au cœur : combien de temps Linda May et les autres vont-ils pouvoir vivre ainsi? Le moindre problème de santé, le moindre pépin mécanique de leur véhicule peut les faire sombrer dans la précarité.

« Nomadland » est un document passionnant, porté par des personnages attachants. J’ai cependant regretté que ce récit soit parfois un peu trop délayé, il y a quelques longueurs, des répétitions, ou des passages qui n’ont pas de valeur ajoutée, notamment quand Jessica Bruder reproduit les statuts Facebook de ses personnages, et surtout les réponses souvent assez convenues de leurs amis… quelques coupes auraient donné plus de densité à ce livre , sans qu’il perde de profondeur… Mais le propos est édifiant, et génère beaucoup de questions sur le système américain (qui risque un jour d’être également le système français) et son rapport aux personnes âgées… à découvrir ! 

Publié en Février 2019 aux éditions Globe, traduit par Nathalie Peronny, 320 pages.

Merci Anne & Arnaud pour cette lecture !

12e lecture de la Rentrée de Janvier 2019.

  

14 commentaires sur “Nomadland – Jessica Bruder

  1. Je l’ai repéré mais ayant vécu aux USA, j’ai toujours vu (il y a déjà 20 ans) les personnes âgées travailler très tard … et la crise de 2008 où tous les fonds de pension ont disparu en une nuit a accentué ce phénomène. Les femmes de ménage que je côtoyais à l’université avait toutes plus de 70 ans, idem au fast-food local. Au bout d’un moment, je ne les voyais plus .. Le système américain est « marche ou crève » et comme tu le dis, ces gens-là n’ont souvent aucune mutuelle du coup le moindre pépin de santé est terrible et à cet âge-là…

    1. dans la foulée, j’ai vu un documentaire sur le même phénomène en France, des gens qui ont eu des problèmes perso ou pro qui ne leur permettent plus de pouvoir accéder à un appartement (salaire trop bas, pas de caution…) et qui vivent dans leur voiture ou dans un camping car , ça fait froid dans le dos !

  2. Je note tes bémols mais le sujet m’intéresse énormément. Et il est évident que la fragilité de ces personnes, tant matérielle que physique est une effroyable épée de Damoclès !

  3. J’aivais déjà repéré ce livre dont le sujet m’intéresse beaucoup. Effectivement, comme tu le dis en conclusion, la France prend ce chemin là au fil des réformes…

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