« Kim Jiyoung, née en 1982 » est un livre coréen qui a beaucoup fait parler de lui quand il a été publié en France en début d’année: en effet, ce premier roman de Cho Nam-Joo est devenu un best-seller mondial, et va bientôt être adapté en film.
Kim Jiyoung est une trentenaire, mariée, mère d’une petite fille, et femme au foyer…Son mari la trouve un peu étrange depuis quelques temps et finit par comprendre qu’elle est atteinte de dédoublement de personnalité, puisqu’en elle s’incarnent plusieurs femmes de son entourage : sa propre mère, ou encore une amie proche décédée l’année précédente…
Le récit se consacre à la vie de Kim Jiyoung, de sa naissance – en 1982, donc – à aujourd’hui. La vie somme toute banale, d’une femme banale, assez représentative des femmes de sa génération en Corée. Jiyoung est la deuxième d’une famille de trois enfants, elle a une sœur aînée et un petit frère. Après sa naissance, sa mère était enceinte d’une troisième fille mais en apprenant le sexe du bébé, elle a préféré avorter, une décision très courante en Corée, les familles souhaitant avoir des garçons – au point de déstabiliser sérieusement le ratio homme/femme.
La discrimination sexuelle commence donc in utero, et se poursuit dans le foyer familial – où l’on donne plus à manger aux garçons et où ceux-ci sont dispensés de tâches ménagères – puis à l’école, et dans la rue. Mais c’est surtout dans le domaine professionnel que Jiyoung va se heurter de plein fouet au sexisme systémique : malgré des études brillantes, elle a beaucoup de difficultés à trouver un emploi, les meilleurs postes, dans les grandes entreprises, avec des salaires avantageux, sont réservés aux hommes. Quand finalement, elle réussit à se faire embaucher, elle comprend très vite que les horaires déments et le travail le week-end qui sont demandés aux salariés coréens ne sont pas du tout compatibles avec une vie de famille : lorsqu’un couple a un enfant, il faut donc que l’un des deux s’arrête de travailler pour pouvoir s’en occuper – et comme l’homme a un meilleur travail, avec un meilleur salaire, c’est la femme qui devient de facto parent au foyer, et c’est ce qu’il va se passer pour Jiyoung.
J’ai eu l’occasion dans ma vie professionnelle de discuter avec des clients coréens, et ils m’avaient parlé des horaires infernaux – à la japonaise – de longues heures en entreprise qui se poursuivent ensuite dans des bars avec les chefs et les collègues; l’obligation de rester au bureau tant que le grand chef n’est lui-même pas parti; leur surprise en croisant beaucoup de femmes dans les entreprises françaises, alors que dans leur société, seules les jeunes diplômées ou les femmes de plus de 50 ans travaillaient; la pression sur leurs épaules car ils étaient les seuls à ramener de l’argent, leur épouse ne travaillant pas : une pression dont se servait l’entreprise, car s’ils ne donnaient pas satisfaction, ils seraient licenciés et ne pourraient donc assumer l’entretien du foyer.
J’étais donc très intéressée par le contenu du livre, d’autant plus que cette situation était vue à travers un prisme féminin. Mais « Née en 1982 » est un roman assez particulier. Pour être plus précise, je n’ai pas vraiment eu l’impression de lire un roman. En effet, le style est froid, et le récit enchaîne les différents événements marquants de la vie de Jiyoung, de façon factuelle, en soulignant les dérives de cette société misogyne (discriminations, harcèlement sexuel…), et ces épisodes sont de plus illustrés par des statistiques...Si le contenu donne un éclairage très intéressant sur la société coréenne, le côté « littéraire » de ce livre laisse donc à désirer. J’ai eu l’impression que Jiyoung était un personnage créé pour représenter la femme coréenne, mais qu’elle n’existait pas vraiment en tant que tel, qu’elle manquait de densité et d’incarnation, comme si on avait créé une allégorie pour rendre plus accessible un essai. Les troubles de la personnalité de la jeune femme, décrits dans le début du roman, servent finalement juste à montrer qu’elle va mal, mais ne sont pas du tout exploités dans le reste de l’histoire, tout comme la fin qui, certes, est ironique, mais tombe un peu comme un cheveu sur la soupe.
Il y a néanmoins de nombreuses scènes dans le roman qui montrent que les femmes ne se laissent pas faire, et se soutiennent et se rebellent pour faire avancer les choses : Jiyoung et sa sœur refusent d’être moins bien traitées que leur frère; leur mère soutient ses filles, et va elle-même se révéler dans l’entrepreneuriat; à l’école, les filles se révoltent ; la femme dans le bus aide Jiyoung qui est harcelée ; au bureau, la chef de Jiyoung est un personnage fort et les collègues féminines vont faire front lorsqu’un scandale éclate… il y a donc des épisodes et des personnages forts dans ce récit, dommage donc que le personnage de Jiyoung manque d’incarnation et que le récit soit si froid, car on sent que le livre aurait vraiment pu être flamboyant en plus d’être marquant.
Une lecture en demi-teinte, donc, avec un style et un format qui ne m’ont pas convaincue, alors que j’ai trouvé le contenu édifiant…
Publié en Janvier 2020 chez NIL, traduit par Pierre Bisiou et Kyungran Choi, 216 pages.
Ton avis en rejoint beaucoup d’autres : un sujet intéressant desservi par une écriture sans âme… mais je garde l’envie de le lire, ne serait-ce que par curiosité.
oui le contenu est intéressant… il faut juste être prévenu que la forme est particulière !
Je l’ai chez moi… mais ton avis rejoint ce que j’ai lu un peu partout. Froid mais intéressant.
oui je pense qu’il est difficile de faire abstraction de cette froideur !