Je suis toujours très attentive aux parutions Sonatine, et « Les Heures Furieuses », premier livre de Casey Cep, m’a intriguée.
Le format de ce livre est assez particulier : le récit commence avec une série de faits divers qui ont défrayé la chronique dans l’Alabama des années 70. Le révérend afro-américain Willie Maxwell a été soupçonné de meurtre…cinq fois. Cinq de ses proches sont en effet décédés dans des circonstances suspectes, et à chaque fois le révérend était bénéficiaire d’une multitude d’assurances vie…Défendu par un brillant avocat, Tom Radney – dont l’autrice fait également le portrait – il a à chaque reprise échappé aux poursuites et a pu récupérer une grande partie des sommes dues par les compagnies d’assurance…jusqu’au jour où il a été abattu par un proche de la dernière victime, une jeune fille de seize ans, aux obsèques de celle-ci.
Mais pourquoi donc ce livre a-t-il pour titre secondaire « Sur les traces du manuscrit perdu de Harper Lee » ? On passe ainsi du true crime à la biographie, avec un portrait de la célèbre romancière. Née en 1928 en Alabama, l’autrice va connaître un succès phénoménal avec « Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur », paru en 1960, et couronné du Prix Pulitzer l’année suivante. L’adaptation cinématographique du roman récoltera dans la foulée trois Oscars. Harper Lee s’était également illustrée en accompagnant son ami d’enfance Truman Capote dans ses recherches sur le terrain pour écrire « De Sang Froid », qui paraîtra en 1966…et puis, plus rien. L’autrice ne publiera jamais de second roman (« Va et poste une sentinelle », publié en 2015, est en fait la première mouture de « Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur ») ni de non-fiction. Pourtant, l’affaire Maxwell, située dans son Etat d’origine, avait éveillé l’intérêt de Harper Lee, qui a travaillé plusieurs années sur le sujet, et rencontré un certain nombre de protagonistes, dont le fameux avocat, Tom Radney – qui paradoxalement, après avoir défendu le Révérend, défendra…son meurtrier! Alors pourquoi n’a-t-elle jamais rien publié ? et où est passé le manuscrit sur lequel elle travaillait?
« Les Heures Furieuses » est un livre dense, mais extrêmement intéressant. Le fait divers raconté est assez incroyable et Casey Cep ne se contente pas de narrer l’histoire, elle contextualise beaucoup – sur l’Alabama des années 70, l’esprit ségrégationniste, les assurances vie, le système judiciaire, le vaudou… la partie biographique sur Harper Lee est également très réussie, le portrait tracé par Casey Cep est extrêmement bien incarné, et on s’attache à cette femme décalée à la plume paralysée par l’incroyable succès de son premier roman.
Espérons que Casey Cep, quant à elle, publiera d’autres livres, car ce premier ouvrage est à la fois accessible et brillant : une réussite !
Publié en Mai 2021 chez Sonatine, traduit par Cindy Colin-Kapen, 400 pages.