La sortie d’un livre de Philippe Jaenada est toujours un événement, a fortiori quand on l’attend depuis quatre ans. Avec « Au Printemps des Monstres », l’auteur propose une démarche similaire à celle de « La Serpe » : s’emparer d’un fait divers qui a défrayé la chronique en son temps, et le déconstruire.
En 1964, le petit Luc Taron, onze ans, disparait à Paris. Il est retrouvé le lendemain, dans une forêt à une vingtaine kilomètres de là, mort étouffé. Un mystérieux homme en complet bleu a été vu, sortant de cette forêt au petit matin, par un couple d’agriculteurs. Mais bientôt, des lettres signées « L’Etrangleur », incluant des informations non diffusées au grand public, sont envoyées aux médias, à la police. Après quelques semaines de psychose, un jeune homme est arrêté, Lucien Léger, infirmier dans un hôpital psychiatrique. L’homme de vingt-sept ans, intelligent et cultivé, avoue le meurtre du petit garçon. Il sera jugé et condamné à la perpétuité, passant 41 ans en prison, même s’il se retracte rapidement.
Le récit de cette affaire absolument passionnante est l’objet de la première partie du livre « Le Fou » – même si Philippe Jaenada fait beaucoup moins de digressions que dans « La Serpe » (mais c’est pour ça qu’on l’aime), cette partie est très dense et longue, et j’avoue avoir éprouvé un petit essoufflement dans les dernières pages… MAIS, dès que la deuxième partie « Les Monstres » a commencé, la déclaration fracassante de l’auteur sur cette affaire qui semblait pourtant tout à fait résolue a réveillé mon intérêt! Jaenada entame alors une enquête qui révèle tous les faux-semblants de cette histoire incroyable.
La figure de Modiano est très présente dans ce récit, et effectivement les personnages pourraient être issus de ses romans : un certain nombre de protagonistes vivent à l’hôtel, l’ombre de la Seconde Guerre Mondiale plane sur l’histoire, on y fait des « affaires » louches, tout est vaguement brumeux et rien n’est clair, il y a des enfants perdus (j’inclus dans cette catégorie Lucien Léger et sa femme Solange), des orphelines, des prostituées, des hommes véreux, des disparitions…
Les révélations se succèdent, et il est assez fou de voir tout ce qui peut être mis en lumière près de soixante ans après les faits, à condition d’être tenace et de ne rien tenir pour acquis.
La plume de Jaenada est toujours aussi agréable, avec cet angle humaniste qui la caractérise (l’auteur est un excellent portraitiste), et rend fluide et accessible un énorme travail de recherche. « Au Printemps des Monstres » est une enquête policière menée tambour battant, qui donne un récit haletant, que l’on n’a pas envie de poser avant la dernière page.
Même si le livre est un pavé, dense et foisonnant, le récit est tellement rythmé par les découvertes assez incroyables de Jaenada, qui nous embarque avec lui dans ses recherches, qu’il se lit tout seul. Encore une réussite et une excellente lecture de la part de cet auteur toujours surprenant !
Publié en Août 2021 chez Mialet-Barrault, 752 pages.
Je suis intriguée…Une émission de radio a été consacrée il y a quelque temps à cette affaire, et je n’avais pas compris qu’il pût y avoir des faux-semblants ou ambiguïtés. Ce livre m’attendant dans ma liseuse, j’en saurai bientôt plus !
c’est un livre assez mastoc, et je pense que je préfère quand même la Serpe, mais il vaut le coup !
J’ai vu ton sourire lorsque tu étais à ses côtés, cela vaut tout ! Heureuse que tu aies aimé – pour ma part, je passe mon tour
oui, le sourire en dit long 😀 ah dommage, je pense vraiment que les livres de Jaenada pourraient te plaire !
J’ai beaucoup aimé ce pavé, j’ai dévoré les 750 pages du livre en une semaine. Comme pour ces 3 ouvrages précédents Philippe Jaenada prend un fait divers, rouvre les dossiers judiciaires, épluchent les archives pour nous livrer un récit passionnant. Cet auteur a l’air de mener un récit, de dévoiler les ressorts des personnages au fur et à mesure. Il nous plonge dans cette année 1964 où les médias s’emparent des messages de « l’étrangleur » qui prétend tout savoir sur le meurtre du petit Luc Taron. Les péripéties et les découvertes s’étalent sur une quarantaine d’années, on se perd parfois dans les méandres de ce récit à tiroir où il faut démêler le faux, du peut-être vrai. Jaenada se passionne pour le destin tragique du couple Lucien et Solange en nous dévoilant leur correspondance intime. C’est un livre foisonnant, d’un auteur à la fois : romancier, historien, journaliste qui nous entraîne dans ses enquêtes, ses interrogations, ses doutes, ses colères. Moi qui n’apprécie pas particulièrement les polars, je me suis passionné pour cette histoire véridique basée sur une lecture attentive de tout ce qui a pu être écrit par les policiers, les juges et les journalistes sur cette affaire qui garde une part de mystère.
en sus de son talent d’écriture, j’apprécie tout particulièrement l’implication de Philippe Jaenada dans tous ses projets: le travail considérable d’exploration des archives, d’analyse, de synthèse, et sa rigueur intellectuelle !