Je ne suis pas forcément du genre à me précipiter pour lire le Prix Goncourt, mais « La Plus Secrète Mémoire des Hommes », quatrième roman de l’écrivain sénégalais Mohamed Mbougar Sarr, était précédé d’une rumeur tellement positive que je n’ai pas pu résister.
En 2008, un lycéen sénégalais, Diégane Latyr Faye, entend parler dans son manuel de littérature d’un livre qui avait défrayé la chronique en 1938 : « Le Labyrinthe de l’Inhumain ». Son auteur, TC Elimane, écrivain lui aussi sénégalais, avait reçu d’excellentes critiques, bien que certains journalistes aient été décontenancés par le fait qu’il soit africain… mais après des rumeurs de plagiat, l’auteur avait brusquement disparu. Dix ans plus tard, Diégane, devenu entre temps écrivain, met enfin la main sur un exemplaire de ce livre mythique grâce à sa rencontre avec la grande autrice Siga D, l’une de ses compatriotes. Fasciné par ce qu’il lit, il décide alors de retrouver la trace du mystérieux TC Elimane.
J’ai eu très peur en commençant ce roman, j’ai cru que l’auteur voulait caser le maximum de mots possibles issus du « Dictionnaires des Mots Rares et Précieux ». Je n’ai rien contre un vocabulaire soutenu mais cela n’a pas fonctionné pour moi au début, cela donnait un côté artificiel et j’ai eu très peur de devoir lire un roman sur-écrit et boursouflé. Il a bien fallu une centaine de pages pour que l’intrigue se mette en place et pour que j’accroche à ce que proposait l’auteur. Et tout d’un coup, ça s’est débloqué, et je me suis mise à dévorer le roman !
J’adore les romans foisonnants et j’ai été servie avec cette grande fresque qui se déroule sur plus d’un siècle, aux multiples narrateurs, qui mêle saga familiale, enquête obsédante et atmosphère mystérieuse, frôlant parfois avec le fantastique. J’aime quand un récit prend des chemins détournés, navigue entre les pays, les points de vue et les époques – au risque d’ailleurs de perdre son lecteur – et que finalement, les différentes pièces du puzzle se mettent en place, et j’ai été servie avec « La Plus Secrète Mémoire des Hommes ».
Mon plaisir de lecture a parfois été tempéré par des bémols : en sus des débuts difficiles, j’ai eu quelques moments d’essoufflement, où j’avais l’impression que le récit tournait en rond. J’ai également trouvé que ce roman dense était un peu trop riche, que l’auteur voulait parfois parler de trop de choses, et s’éparpillait un peu: au colonialisme, aux conflits d’identité, au pouvoir de la littérature, qui sont finement traités, fallait-il vraiment ajouter la Shoah, et entraîner cette histoire jusqu’en Amérique du Sud?
Pour autant, même s’il n’est pas exempt de défauts, c’est un livre beau et ambitieux, au suspense savamment dosé, et qui a quelque chose de fascinant, de magnétique! Je ne connaissais pas du tout l’auteur mais j’aimerais à présent découvrir le reste de son œuvre.
Publié en Août 2021 chez Philippe Rey, 448 pages.
je note tes bémols, j’ai failli l’acheter (d’occasion) je vais plutôt l’emprunter
comme toi, je ne comprends pas le besoin d’en mettre « trop » dans un livre, de vouloir s’attaquer à tous les sujets..
et les mots rares, ça me rappelle trop Vuilliard, donc je fuis !
les mots rares, c’est plutôt au début, après le suspense prend le lead et c’est beaucoup moins « sur-écrit »! mais lis-le, je pense vraiment que ça peut te plaire !
Ah, c’est drôle, on a fait un chemin totalement inverse ! Mais on arrive pourtant à la même conclusion 😉
comme quoi, tous les chemins mettent à Sarr !
Je pense attendre un peu et l’emprunter… Je crains de ne pas accrocher, pourtant j’ai beaucoup aimé De purs hommes de l’auteur (lu avant le prix !) 😉
ah mais si tu as aimé son précédent, tu devrais aimer celui-là!
Comme toi je ne me précipite pas sur les prix, mais la réputation de celui-ci et l’auteur que j’ai vu dans une émission, m’ont vraiment donné envie de le lire. Alors il sera sous le sapin !
alors j’en profite pour te souhaiter de très belles fêtes !
Parlons littérature, je cite:
« je pris mon courage à une main, l’autre vida mon verre d’un trait »
« j’inspirai profondément et m’enfonçai sans difficulté, comme un suppositoire, dans le trou du cul déjà lubrifié du monde – on a les expériences pascaliennes qu’on peut »
Je m’oblige généralement à finir les livres commencés, mais là…
Bravo pour la pertinence de vos commentaires. Vous m’avez donné envie de lire Mohamed Mbougar Sarr et j’ai découvert avec enthousiasme un auteur que je ne connaissais pas. Décu par les précédents Goncourt, je n’aurais sans doute pas entrepris cette lecture sans vous Mes émotions sont très proches des vôtres. Voilà bien longtemps que je n’avais pas éprouvé autant de joie à lire. Merci !!! Guillaume
merci beaucoup Guillaume pour ce message ! je suis ravie que vous ayez lu et aimé ce roman !