Alice et les Orties – Julie Bonnie

Julie Bonnie est une auteure que j’aime beaucoup : « Chambre 2 », son premier roman avait été un coup de cœur, et j’avais également apprécié « Mon Amour, « , roman épistolaire sorti l’an dernier. J’ai eu l’agréable surprise de découvrir dans ma boite aux lettres son dernier ouvrage, « Alice et les Orties », un livre illustré par Robin Feix, de Louise Attaque, dédicacé par Julie Bonnie en personne!

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Dès les premières pages du récit, on apprend qu’Alice, la narratrice, a vécu un drame il y a plusieurs décennies – drame dont elle ne parle pas, drame dont elle a honte, drame qui lui pourrit la vie encore aujourd’hui. Parce qu’elle se sent grignotée de l’intérieur, parce qu’elle veut enfin crever l’abcès, Alice décide de profiter d’une semaine d’absence de son mari et de leurs deux enfants pour mettre par écrit l’indicible, et puis de brûler ce texte pour s’en débarrasser une bonne fois pour toutes. Pendant cette semaine, Alice, qui tourne autour du pot et n’arrive pas à poser des mots sur ce qu’elle a vécu, va croiser des personnages loufoques qui vont l’aider à comprendre ce qu’il lui est arrivé, à déculpabiliser et à enfin se libérer par l’écriture : un pompier, Achille, vieux professeur de français atteint d’un défaut de prononciation, une grosse dame, son amie Tallulah morte depuis plusieurs années, une libraire au corps rond et tendre…

Julie Bonnie

Il y a un petit côté absurde dans « Alice et les Orties » qui m’a au début un peu déstabilisée car c’est un genre dont je ne suis pas fan. Pourtant il ne m’a pas fallu longtemps pour mettre mes appréhensions de côté et me laisser emporter par ce court récit. Alice est un personnage très attachant. Victime dans son adolescence, elle a néanmoins avancé dans la vie, et a construit une famille heureuse. Mais la douleur est tapie en elle, et revient périodiquement : angoisses, insomnies, dépression…Alice ne cherche pas la pitié, elle veut juste pouvoir se délester d’un lourd poids de culpabilité et de colère pour pouvoir enfin vivre librement. Les personnages qu’elle rencontre sur son chemin auront un effet de maïeutique. Le texte est sensible, mais aussi plein de pudeur, et rempli de métaphores. Il y a beaucoup de tristesse sous-jacente, mais Alice est une battante, et le récit est également énergique et parfois drôle. Julie Bonnie nous raconte le temps d’une semaine le récit d’une survie et d’une résilience, lorsque la victime tape du poing sur la table et décide qu’elle en a assez de souffrir et qu’il est temps de laisser derrière soi le malheur et la honte. Les dessins de Robin Feix semblent souvent être tracés d’un seul trait, ils sont aérés, amples, et plutôt apaisants. Ils accentuent encore le parti pris poétique du texte. En effet celui-ci n’est pas un récit-témoignage : de ce qu’il est arrivé à Alice, on en saura juste assez, sans rentrer dans les moindres détails – le but n’est pas là, il ne s’agit pas de tout connaître du traumatisme d’Alice puisque le texte a une portée universelle.

Même si le parti pris – un récit frôlant l’absurde, avec un côté conte – n’est au départ pas forcément ma tasse de thé, j’ai été touchée par les mots d’Alice, par sa peine et son désir de dépasser la honte pour se reconstruire. Une série de rencontres bienveillantes apporte une touche humaniste au texte qui, malgré la violence et la tristesse sous-jacentes, est également porteur d’espoir. « Alice et les Orties » est un livre très différent des deux ouvrages précédents de Julie Bonnie, mais c’est une réussite, accentuée par les beaux dessins de Robin Feix.

Publié en Octobre 2016 chez Grasset, 160 pages.

14e lecture de la Rentrée Littéraire 2016

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