Derrière le magnifique titre « Je me promets d’éclatantes revanches » se cache un essai que Valentine Goby consacre à Charlotte Delbo, résistante, déportée à Auschwitz puis Ravensbrück, et écrivain, dont lui a parlé Marie-José Chombart de Lauwe, qui a servi de modèle au personnage de Mila dans le roman « Kinderzimmer ».
Valentine Goby n’a jamais rencontré Charlotte Delbo, décédée en 1985, elle retrace dans ce livre sa découverte de l’oeuvre de Charlotte Delbo, et ses réflexions sur la façon d’écrire sur Auschwitz, et d’appréhender Auschwitz à travers la littérature. J’ai vraiment beaucoup aimé ce livre pour plusieurs raisons. Valentine Goby se dévoile en apprenante. Qui est-elle, elle qui n’est pas juive, qui n’a pas vécu la Seconde Guerre Mondiale, pour essayer de comprendre Auschwitz? Les ouvrages de Charlotte Delbo (« Le convoi du 24 Janvier » et la trilogie « Auschwitz et après »), qui n’est pas juive, mais déportée pour faits de résistance, sont comme une main tendue vers elle pour décloisonner Auschwitz, pour l’inscrire dans l’Histoire, mais pas de façon achevée, en créant des liens avec des événements historiques arrivés avant et après. Comme Valentine Goby pouvait s’identifier à son personnage Mila à Ravensbrück dans « Kinderzimmer » par le lien de la maternité, elle retrouve en Charlotte Delbo le fait d’être une femme, et d’être une femme amoureuse. Le mari de Charlotte, Georges, résistant également, a été exécuté avant que celle-ci ne soit déportée, c’est une femme qui souffre de la mort de son mari, s’inscrivant ainsi dans une certaine universalité.
Il y a beaucoup de passages très intéressants dans « Je me promets d’éclatantes revanches », notamment sur la langue pour parler d’Auschwitz, les mots utilisés (faim, soif, souffrance) sont des mots simples, évocateurs, mais dont le sens est redéfini selon Auschwitz : « J’ai faim » à la maison, de nos jours, n’a absolument rien à voir avec « J’ai faim » à Auschwitz. Mais aussi sur l’écriture en elle-même : pire que la mort, il y a l’oubli. Charlotte Delbo a été chargée par ses compagnes de déportation d’écrire, de raconter pour que l’on n’oublie pas, pour qu’on ne les oublie pas. C’est l’objet du « Convoi du 24 Janvier », qui décrit les 230 femmes qui étaient dans ce fameux convoi vers Auschwitz, dont seulement quarante-neuf reviendront. L’écriture permettra à Charlotte Delbo de projeter Auschwitz hors d’elle, de se retrouver elle-même, hors du livre.
Car c’est une femme qui a vécu intensément les quarante années postérieures à Auschwitz que nous décrit Valentine Goby, qui a aussi regardé une interview de Charlotte Delbo face à Jacques Chancel et a lu d’autres créations de celle qui fut la secrétaire de Louis Jouvet, et qui écrivit plusieurs pièces de théâtre. Charlotte Delbo est tout sauf un spectre ou une victime. Une femme qui décrète qu’il n’y a pas de compensation, pas de consolation à la déportation, qu’Auschwitz a été une perte sèche. Elle veut donc vivre à fond, profiter de la vie, du luxe, du superflu, de la fête, ces « éclatantes revanches »du titre. C’est quelqu’un qui déclare à Jacques Chancel qui évoque Auschwitz, « J’en suis sortie » et « Je n’oublie pas, mais en même temps j’oublie ». Elle sur-vit, au sens littéral du terme.
« Je me promets d’éclatantes revanches » de Valentine Goby est tout aussi intéressant pour la réflexion sur l’écriture sur Auschwitz que pour le magnifique portrait que l’auteure brosse de Charlotte Delbo, une femme pleine de vie et une auteure encore trop méconnue, dont l’oeuvre n’a pas eu le retentissement et la reconnaissance qu’elle aurait dû avoir. A travers la plume de Valentine Goby, on apprend à connaître la femme et l’écrivain et à l’apprécier. Je connaissais Charlotte Delbo de nom, je l’avais déjà croisée furtivement dans le livre « Vie de ma voisine » de Geneviève Brisac, mais je n’ai encore jamais lu son oeuvre : difficile de passer outre, une fois le livre de Valentine Goby refermé. Pour moi c’est un coup de coeur, et l’un des livres incontournables de cette Rentrée Littéraire.
Publié en Août 2017 chez L’Iconoclaste, 178 pages.
8e lecture de la Rentrée Littéraire de Septembre 2017.
J’ai déjà lu des avis extrêmement enthousiastes. Comment, dès lors, ne pas le lire, surtout au vu du sujet ?
le sujet est extrêmement intéressant, et l’angle choisi par Valentine Goby et son humilité vis à vis de Charlotte Delbo et de son oeuvre, en font un livre passionnant
pour Valentine Goby, comme pour Charlotte Delbo, il est très haut dans mes envies de lectures!
effectivement, deux bonnes raisons de le lire!
Suite à cette lecture, j’ai cherché des livres de Delbo à la médiathèque mais ils n’en ont même pas dans une grande médiathèque ! Etrange !
c’est ce que Valentine Goby explique dans son livre, Charlotte Delbo n’a pas eu la reconnaissance et la notoriété qu’elle méritait… du coup j’ai regardé dans mon réseau de médiathèques et il y a plusieurs ouvrages de Charlotte Delbo, ouf! j’ai réservé le 1er tome de la trilogie.
Nous avions en commun l’évocation de Charlotte Delbo avec « Vie de ma voisine ». Je ne peux qu’être d’accord avec cette belle chronique. Un excellent livre intimiste et délicat.
contente que l’on soit d’accord 🙂
Comme toi j’ai croisé furtivement Charlotte Delbo dans « Vie de ma voisine » mais suffisamment pour avoir envie de la découvrir davantage. Je lirai certainement « je me promets d’éclatantes revanches ».
oh oui, il est vraiment incontournable!
Ah, Valentine… Je vais forcément le lire ce texte magnifique !
si en plus tu es fan de l’auteure, ne passe pas à côté!
J’ai tellement aimé Kinderzimmer (et les autres que j’ai lus d’elle) et j’ai tellement aimé ma rencontre avec elle : il faut que je le lise!
je suis sûre que ce livre te plaira!
Je garde un souvenir fort de Kinderzimmer, je lirai donc sans doute ce nouveau roman.
attention, ce n’est pas un roman mais bien un essai sur Charlotte Delbo et ses ouvrages