J’avais lu l’an dernier « Aux animaux la guerre », le premier roman de Nicolas Mathieu, mais je n’avais pas encore eu l’occasion de découvrir le livre qui l’a rendu célèbre puisqu’il a reçu le Goncourt en 2018, « Leurs enfants après eux ».
Ce roman est une fresque sociale qui suit un groupe de jeunes et leur entourage, le temps de quatre étés, espacés de deux ans (1992, 1994, 1996 et 1998) dans une petite ville de Moselle. Des jeunes issus de milieux sociaux différents – cité, milieu ouvrier, classe privilégiée – qui mènent une vie plutôt banale et se côtoient, se mélangent voire s’affrontent lors d’événements particuliers : une soirée, une fête foraine, ou encore la nuit de la finale de la Coupe du Monde de 1998…
Il y a beaucoup de choses que j’ai aimées dans ce livre. Nicolas Mathieu nous raconte la banalité du quotidien dans une petite ville de province, mais il a un vrai talent d’écriture pour façonner un personnage en quelques mots, pour décrire les lieux, pour lâcher une expression qui va faire mouche, faire une remarque pleine de justesse au détour d’une phrase. Il y a un pouvoir évocateur très fort dans ce livre, et je me suis attachée aux personnages, très bien incarnés, j’ai eu envie de les retrouver deux ans après pour savoir ce qui allait leur arriver.
Le fait que l’on côtoie les personnages uniquement durant les étés est très pertinent, car ce sont des périodes de transition : l’année scolaire est finie, on se demande ce qu’on va faire l’année prochaine, on a des rêves, des objectifs, on réalise qu’il est temps de prendre sa vie en main pour avoir un destin. Et puis il y a cette atmosphère propre à l’été, cette chaleur, ces nuits longues, ce côté désoeuvré…et cette tension aussi qui règne, car le fil conducteur du roman est une histoire de vol de moto qui créé une animosité entre deux personnages, et l’on se demande perpétuellement quand ça va exploser…
J’ai retrouvé dans le roman la mixité sociale qu’il peut y avoir dans les petites villes de province, où l’on est en présence de toute l’étendue de la classe moyenne, de celle qui frôle le prolétariat à celle qui se rapproche d’une bourgeoisie de province. Jusqu’à un certain âge – fin du collège, voire même encore au lycée – les jeunes sont plus mélangés que dans les grandes villes ou en Ile-de-France : il y a bien sûr des rapports et des caractéristiques de classe, mais on fréquente les mêmes écoles, les mêmes lieux, les mêmes soirées. J’ai aimé aussi qu’il n’y ait pas de misérabilisme dans « Leurs enfants après eux »: le rêve commun à tous les personnages est de partir – en s’engageant dans l’armée, en retournant au bled, en partant à Paris… – mais ceux qui restent ne sont pas si malheureux, ils ont un travail, même s’il n’est pas forcément très intéressant ou bien payé, sont en couple, ont des enfants… même si la routine et les responsabilités familiales qu’ils endossent très jeunes peuvent les étouffer et les frustrer.
J’ai néanmoins quelques bémols. En effet, l’ayant lu tardivement, j’ai entendu moult avis dithyrambiques à son sujet, donc j’ai mis la barre très haut. Or j’ai trouvé que c’était un très bon livre, mais pas le chef d’œuvre que l’on m’avait vendu. En tant que lorraine, par exemple, je m’attendais à reconnaître les lieux décrits, or cette intrigue pourrait se dérouler un peu n’importe où en province, il n’y a pas vraiment de caractéristiques locales, et j’ai été notamment surprise que l’auteur ne parle pas du Luxembourg, situé seulement à quelques kilomètres, et qui représente une perspective professionnelle non négligeable pour ces jeunes frontaliers. (Quasiment tous les Mosellans de mon âge que je connais travaillent au Luxembourg!). Mais c’est la façon de s’exprimer des personnages qui m’a finalement le plus gênée : ces jeunes des années 90 emploient du vocabulaire et des expressions qui n’étaient pas du tout utilisés à cette époque, ils parlent comme dans les années 2000. Ce décalage m’a fait hausser les sourcils à de nombreuses reprises, d’autant plus que l’auteur est contemporain de ses personnages! Et quid de la rue « Clément-Hader » avec un H?
Bien que ces bémols aient tempéré mon enthousiasme, « Leurs Enfants Après Eux » est un roman que j’ai lu avec plaisir et que je vous recommande!
Publié en 2018 chez Actes Sud, 425 pages, disponible en poche chez Babel.
A retrouver dans la 98e émission du podcast littéraire Bibliomaniacs !
pas tentée du tout par ce roman mais tes bémols sont tellement les miens ! comment faire ce genre d’erreurs ??
oui je sais qu’on est en phase sur ce genre de choses 😀
Ma foi, j’avoue ne pas avoir relevé ces « anachronismes langagiers », et j’ai beaucoup aimé ce titre, malgré certains passages un peu caricaturaux à mon sens..
ça m’a frappée, car j’avais peu ou prou le même âge que les protagonistes, et très clairement, je ne parlais pas comme ça 😀
Moi j’avais adoré adoré! Je me suis retrouvée dans bien des passages.
super ! je comprends que tu l’aies apprécié s’il a fait écho en toi !
A chaque fois que je l’ai entre les mains, en librairie ou à la bibliothèque, je le repose…
ben alors?
J’ai grandi en province à la campagne (mais pas en Lorraine) et plutôt dans les années 2000, donc il est possible que je ne remarque même pas tes bémols… Je veux le lire depuis sa sortie, j’attendais désespérément sa sortie poche !
enfin, tu vas pouvoir le lire !
Ça va Eva ? Je m inquiète .
ah, pourquoi?
Parce que j’attendais tes nouvelles critiques et puis ce covid … Mais tu es revenue je suis contente je te souhaite une belle journée ma chère Eva !
ah c’est gentil! 🙂 j’étais juste en vacances pour quelques jours !