Juste avant l’oubli – Alice Zeniter

Alice Zeniter est une auteur que j’avais repérée à la sortie de « Sombre Dimanche », qui avait obtenu le Prix du Livre Inter en 2013, ainsi qu’à son passage à La Grande Librairie il y a quelques mois avec son fameux « kama sûtra littéraire » qui avait tant marqué François Busnel. Je n’avais cependant pas encore eu l’occasion de la lire, ce qui est chose faite avec son dernier roman « Juste avant l’oubli », qui a obtenu le Renaudot des Lycéens en 2015, et qui m’a beaucoup plu.

Dans « Juste avant l’oubli », Franck se rend sur une île des Hébrides, au large de l’Ecosse, pour y retrouver Emilie, sa compagne depuis huit ans. Emilie réside sur cette île depuis trois mois, dans le cadre de sa thèse sur l’écrivain de romans policiers Galvin Donnell qui y a vécu ses dernières années avant de se jeter du haut d’une falaise, sans que l’on retrouve son corps. La venue de Franck coïncide avec la tenue d’un colloque de spécialistes de Donnell sur l’île. Le jeune homme souhaite se réconcilier avec sa compagne, dont les projets universitaires viennent contrecarrer les projets de vie de Franck, qui voudrait avoir un enfant avec elle. Mais rien ne va se passer comme prévu durant son séjour…

« Juste avant l’oubli » m’a fait penser à deux livres que j’ai beaucoup aimés : « Jeux de mains » de Ruth Rendell, et « De vieux os » de Louise Welsh, le premier pour la création de toute pièce d’un écrivain et de son oeuvre, et le second pour l’atmosphère très particulière qui règne sur cette île isolée, coupée du monde, et où n’habite en temps normal qu’un gardien vaguement inquiétant qui n’a jamais vécu ailleurs… J’ai trouvé qu’Alice Zeniter avait excellé sur ces deux plans, avec extraits de romans, extraits d’interviews et de biographies, notes de bas de page, à tel point que j’ai quand même vérifié sur Google si Galvin Donnell existait vraiment, ainsi que l’île de Mirhalay…Les deux sortent bien de l’imagination d’Alice Zeniter et sont à mes yeux une vraie réussite.

Quant à l’histoire entre Franck et Emilie, elle est symptomatique d’une relation qui a duré de nombreuses années, et qui, au moment où elle devrait passer à la vitesse supérieure – s’engager, avoir un enfant- patine car les deux protagonistes prennent des voies différentes : une théorique (Emilie qui était professeur a quitté l’enseignement pour devenir thésarde) et un pratique (Franck l’infirmier) peuvent-ils encore s’aimer? Une ambitieuse et un satisfait de son sort – Franck Lemercier est un homme simple qui s’accommode très bien de sa sphère amicale, professionnelle, locale – sont-ils compatibles? D’autant plus qu’Emilie entretient une passion quasi charnelle pour l’oeuvre de Galvin Donnell, et pour l’auteur lui-même, dont elle garde une photographie dans son porte-feuille, tout en détestant la veuve – qu’elle n’a jamais rencontrée – de l’écrivain car elle l’aurait poussé au suicide, comme tant de fans de Kurt Cobain, plus de vingt ans après sa mort, vouent encore Courtney Love aux gémonies
 .
J’ai également beaucoup apprécié  l’écriture d’Alice Zeniter, et ses petites touches d’ironie toujours bien trouvées, comme par exemple ce passage :Franck voulait un enfant avec Émilie. Il voulait désespérément un enfant. Parfois, il pensait à voler une poussette. Il se savait rare parmi ses amis ou collègues du même âge.
Les autres avaient plutôt des crises d’indépendance, se mettaient à tromper leurs fiancées à tour de bras, les abandonnaient tout à coup après dix ans de vie commune, fuyaient quelques semaines avant l’accouchement. 
Mais Franck trouvait que ces agissements – dont les femmes diraient ensuite, dans une généralisation glaçante, qu’ils prouvaient que les hommes étaient tous les mêmes – venaient du fait que ses collègues surestimaient beaucoup leur propre sauvagerie.
Ils se voyaient comme des lions en cage, même les plus doux, les plus mièvres, les plus dénués de
rugissements. Ils s’imaginaient un appétit sexuel immense qu’une seule femme ne pourrait jamais contenter, même ceux qui bandaient mal, qui draguaient peu ou qui préféraient le football à la baise. Ils se croyaient trop indépendants pour les compromis de la vie à deux, eux qui laissaient par ailleurs la société dicter leurs choix de vie et s’y adaptaient parfaitement.
« Les gars, aurait voulu leur dire Franck, je ne sais pas où vous avez pioché que vous êtes d’indomptables loups des steppes, mais si vous vous calmiez un peu, vous verriez bien vite qu’il n’y a rien en vous d’incompatible avec le couple. » 
Il ne le disait pas car il savait que cela vexerait ses collègues. 
Ils voulaient être d’indomptables loups des steppes, c’était dans la vie leur grande faiblesse.
« Juste avant l’oubli » d’Alice Zeniter m’a tenue en haleine et m’a plu sur tous les plans, que ce soit l’histoire d’amour, la présentation de Galvin Donnell et son oeuvre, et cette tension de huit-closqui règne sur cette île avec le personnage de Jock le gardien bourru et le décès mystérieux de l’écrivain et je me suis demandée pendant tout le récit si l’on assisterait à un bain de sang comme dans « Dix Petits Nègres ». Je suis ravie d’avoir lu ce roman, qui m’a donné envie d’en lire d’autres d’Alice Zeniter, notamment le fameux « Sombre Dimanche ». Une belle surprise.
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Publié le 19 Août 2015 chez Flammarion, 288 pages.32e participation au Challenge 1% Rentrée Littéraire 2015 organisé par Hérisson…

16 commentaires sur “Juste avant l’oubli – Alice Zeniter

  1. J'ai lu ses deux romans "sombre dimanche" et "juste avant l'oubli".
    Si tu as aime celui ci qui m'a bien déçue tu devrais te régaler avec "sombre dimanche" qui est vraiment un cran au dessus.
    En tous les cas c'est une auteur prometteuse à suivre

  2. J'ai lu ses deux romans "sombre dimanche" et "juste avant l'oubli".
    Si tu as aime celui ci qui m'a bien déçue tu devrais te régaler avec "sombre dimanche" qui est vraiment un cran au dessus.
    En tous les cas c'est une auteur prometteuse à suivre

  3. @ Joëlle : j'ai été surprise d'apprendre que ce roman n'avait pas forcément été bien accueilli, et j'ai très envie de lire "Sombre Dimanche", et d'autant plus si tu me le recommandes!

    @ Benoit : tant mieux si je t'ai fait (un peu) changer d'avis 🙂

  4. Ton avis enthousiaste suit un autre mais avant j'avais comme Jérôme plutôt lu des avis mitigés donc j'attendrais de le voir en BM .. mais à voir les commentaires, son autre roman serait encore meilleur ?

  5. @ Delphine : ah zut! je suis entrée tellement facilement dedans, que j'ai du mal à imaginer que cela a été une purge pour d'autres!

    @Electra : a priori oui, mais je ne peux pas te dire, je ne l'ai pas lu…(mais bientôt :))

    @ Orzech : du coup j'espère que tu l'aimeras aussi ^^

  6. Ayant beaucoup aimé Sombre Dimanche, j'attendais avec impatience son second roman. Et puis les premiers avis lus m'ont largement refroidie et je l'ai depuis mis entre parenthèses. Ton billet me redonne un peu d'espoir. J'essaierai peut-être de l'emprunter à la bibli.

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