Quartier Lointain – Jiro Taniguchi

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Je connais Jiro Taniguchi depuis un certain nombre d’années maintenant, mais l’exposition qui lui a été consacrée à Versailles et notre prochain podcast Bibliomaniacs spécial Japon m’ont incitée à relire l’une de ses oeuvres maîtresses avec « Le Journal de mon Père » : « Quartier Lointain ».
« Quartier Lointain » est un roman graphique bien épais, mais comme toute oeuvre de qualité, il se lit très vite! Le dessin, en noir et blanc sauf les toutes premières pages qui sont colorisées, rappelle les mangas, mais avec une évidente inspiration européenne dans le trait. Après un déplacement professionnel bien arrosé à Kyoto, Hiroshi, un homme d’affaires de 48 ans voulant prendre le Shikansen pour Tokyo afin de rentrer chez lui, se retrouve par erreur dans un train qui l’emmène dans la ville de son enfance. Il en profite pour se balader un peu, et arrive au cimetière devant la stèle de sa mère. Il réalise alors que celle-ci est morte exactement à l’âge qu’il a aujourd’hui, minée par un événement traumatisant : la disparition inexpliquée de son mari. Pris d’un malaise, l’homme s’évanouit et se réveille au même endroit…dans la peau de celui qu’il était à l’âge de 14 ans, quelques mois avant la disparition de son père…
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« Quartier Lointain » évoque un fantasme courant de l’être humain, d’ailleurs souvent exploité au cinéma ou dans la littérature : la possibilité de revenir dans le passé, avec l’espoir de changer le cours du destin. C’était également le sujet d’un film de et avec Noémie Lvovsky que j’ai beaucoup aimé : « Camille redouble », avec là aussi un traumatisme : la mort brutale de la mère, victime d’un anévrisme alors que Camille était lycéenne. Le thème de « Quartier Lointain » est donc passionnant, et le traitement qu’en fait Taniguchi est inspiré et intelligent, porté par une très belle qualité de dessin.
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Jiro Taniguchi
Hiroshi retrouve donc sa famille, telle qu’elle était il y a trente-quatre ans, et reprend le chemin du collège. Mais il appréhende sa vie d’adolescent avec le recul d’un homme de quarante-huit ans. Il apprécie donc pleinement sa vie : bonheur de passer du temps avec ses parents, sa grand-mère et sa soeur, curiosité intellectuelle à l’école, enthousiasme de retrouver un corps mince et pas encore affecté par l’alcool et le tabac… Hiroshi, avec sa maturité et son expérience d’adulte, et la conscience que tout cela ne durera pas, revit son adolescence, mais de façon améliorée : il a d’excellentes notes (facile les cours d’anglais de collège quand en tant qu’adulte on négocie à l’international), adore le sport, impressionne ses camarades par ses capacités à fumer, boire et conduire une moto, et la plus jolie fille du lycée est impressionnée par sa profondeur et sa conversation intelligente. Hiroshi est donc un adolescent positif, bien loin de l’adulte qu’il est devenu, un homme souvent alcoolisé, qui travaille beaucoup et s’est éloigné de sa femme et de ses deux filles, et en revivant son adolescence, il prend conscience de son mauvais comportement d’adulte, et du fait qu’il s’est détourné de ses priorités.
Mais Hiroshi profite également de ce retour dans le passé pour mieux comprendre l’histoire de ses parents, et essayer de découvrir pourquoi son père a décidé un jour de partir sans plus jamais donner de nouvelles, abandonnant derrière lui sa famille. Lui qui lors de sa première adolescence était insouciant et préoccupé seulement par sa vie de collégien, s’intéresse beaucoup plus à ses parents, se rapproche d’eux, leur pose des questions, interroge la grand-mère…il découvre ainsi des pans de l’histoire familiale qu’il ignorait complètement.
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« Quartier Lointain » est très agréable à lire, avec un trait à la fois doux et précis, et des personnages vraiment attachants, que ce soit Hiroshi, sa famille, ou ses amis du collège. Le sujet du retour dans le passé a déjà été maintes fois traité, mais Taniguchi en fait un roman graphique passionnant, à la fois plein de vie et de mélancolie. Mon seul petit bémol porte sur les raisons de la disparition du père, auxquelles j’ai eu du mal à adhérer, et que j’ai trouvées un peu faiblardes. Mais à part ça – et c’est très subjectif – j’ai tout aimé dans ce livre, qui pose de vraies questions sur la manière dont nous profitons de la vie au jour le jour, sans avoir vraiment conscience du temps qui passe et du fait que ce qui nous parait évident, acquis ou banal aujourd’hui nous manquera peut-être fortement dans le futur. J’ai également beaucoup aimé le petit clin d’œil de l’épilogue, que j’ai trouvé très réussi. « Quartier Lointain » de Jiro Taniguchi est une très belle réussite, une valeur sûre à laquelle même les personnes rétives à la BD ou aux mangas pourront adhérer, tant le trait est accessible et le thème, universel.
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Publié le 15 Novembre 2006 chez Casterman, 495 pages.

 

5 commentaires sur “Quartier Lointain – Jiro Taniguchi

  1. Oh, quelle belle chronique ! Votre enthousiasme est si communicatif que moi qui n'ai jamais lu de roman graphique, là, je suis tentée !

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