Je lis très peu de romans africains -le dernier en date étant « Americanah » – ce à quoi j’aimerais remédier, et j’étais curieuse de lire « Voici venir les rêveurs », premier roman camerounais écrit par Imbolo Mbue, et qui nous conte l’histoire de deux familles à New York en 2007, l’une camerounaise et l’autre américaine.
Jende Jonga, un immigré camerounais illégal, est ravi d’obtenir le job de ses rêves après trois ans de galère à New York : grâce à son cousin Winston, avocat dans un cabinet réputé, il est embauché en tant que chauffeur par Clark Edwards, qui occupe un rang élevé chez Lehman Brothers. Ce poste permet enfin à Jende de mener une vie correcte avec sa femme Neni qui vient de le rejoindre avec leur fils Liomi et qui étudie la chimie dans le but de devenir pharmacienne. Malgré les différences de culture et de niveau social, les familles Jonga et Edwards se rapprochent. Jende et Clark se respectent et s’apprécient, et Cindy engage Neni pour faire des extra de ménage et de service, ce qui permet de créer un lien entre les deux femmes. Les enfants Edwards, Vince et Mighty, aiment beaucoup Jende et Neni. Pourtant, si le début de l’histoire semble presque idyllique, la crise des sub-primes va frapper de plein fouet les deux familles. La série de scandales qui affecte Lehmann Brothers met à mal le fragile équilibre de la famille Edwards tandis que les Jonga subissent les effets de la récession économique et la menace d’une expulsion – Jende et Neni font face à un dilemme : vaut-il mieux rester aux USA, le pays de leurs rêves, mais sans réelles perspectives d’une vie meilleure, ou repartir au Cameroun où leur expérience américaine et leurs économies leur permettront peut-être de mener une vie privilégiée?
Le début de « Voici venir les rêveurs » m’a fait un peu peur car je trouvais que les personnages flirtaient vraiment avec le cliché. Les Edwards étaient les riches qui mènent une vie en apparence fabuleuse, mais qui, lorsque l’on gratte un peu, sont en fait bien malheureux, avec Cindy la mère qui cache ses origines pauvres et douloureuses et noie son chagrin dans les médicaments et l’alcool ou encore Vince le fils en rébellion contre son milieu qui part chercher la Vérité en Inde. Les Jonga étaient les pauvres mais avec du cœur, unis et travailleurs, désireux d’accéder à une vie meilleure. Pourtant, l’auteure a su déjouer les pièges qu’elle s’était elle-même tendus et prendre de la distance avec ses personnages en enrichissant leur personnalité et en évitant tout manichéisme.
Si la famille Edwards m’a moins intéressée, j’ai beaucoup apprécié la famille Jonga, et la façon dont leur parcours est conté. On sent vraiment les personnages évoluer au fur et à mesure que les épreuves s’accumulent et que l’espoir non seulement de rester aux Etats-Unis mais aussi d’y mener une vie confortable s’amenuise. Les Jonga vont passer en quelques mois de la félicité à la tension : la relation entre Jende et Neni s’en trouve impactée, d’autant plus que Neni tient absolument à rester aux Etats-Unis et envisage toutes les façons d’y arriver, prête à prendre des risques et à mettre ses valeurs de côté, alors que l’idée de rentrer au Cameroun séduit de plus en plus Jende.
Les deux familles sont l’occasion de comparaisons entre les cultures américaine et camerounaise : argent, famille, mariage, couple…On apprend d’ailleurs beaucoup grâce à « Voici venir les rêveurs » sur la culture et les mœurs camerounaises. Mais le cœur du livre est bien sûr le rêve américain, et si la condition des immigrés est évidemment largement évoquée à travers le destin des Jonga, le roman nous parle également des Américains eux-mêmes, et le constat n’est pas brillant : combien ont perdu leur emploi, leurs ressources, leur retraite, leur maison à la suite de la crise des sub-primes, passant brutalement d’une vie confortable à la détresse? Et même pour les plus privilégiés, le bilan n’est clairement pas positif : certes Clark Edwards connait la réussite économique, mais ni sa femme ni son fils aîné ne sont heureux et épanouis, chacun fuyant, l’une dans l’alcool, l’autre en Inde, pour échapper à une vie vide de sens.
Malgré les épisodes parfois tragiques, le récit est fluide et plaisant, très agréable à lire. « Voici venir les rêveurs » d’Imbolo Mbue est porté par des personnages forts et attachants, et une plume dynamique, rythmée par les mots français et l’anglais du Cameroun, et qui ne manque pas d’humour. Un premier roman vraiment réussi.
Publié en Août 2016 chez Belfond, traduit par Sarah Tardy, 300 pages.
32e lecture de la Rentrée Littéraire 2016.
Pour des raisons assez perso, ce genre d’histoires me plait (oui, j’ai lu Americanah) mais pour mettre la main dessus à la bibli, il faut de la patience!
j’ai la chance d’avoir accès à un très grand réseau de médiathèques et donc de pouvoir obtenir assez facilement les livres que je souhaite…
Très beau et très inspirant, ton billet! J’ai beaucoup aimé. Oui, un premier roman très réussi.
J’ai particulièrement apprécié que nous voyons les deux côtés de la médaille.
oui, quelque soit le niveau social, et la situation administrative, le bilan est très mitigé…
Il me tente depuis longtemps ! Mais tout comme keisha, dur dur de mettre la main dessus en biblio!
victime de son succès !
Pour moi, ce sera d’abord Americanah que je n’ai toujours pas lu mais celui-là me tente également.
Bonne(s) lecture(s) !
J’ai beaucoup aimé ce premier roman, il me laisse un souvenir agréable… peut-être pas impérissable ?
l’avenir le dira!
C’est un roman que j’ai très envie de lire, comme beaucoup, j’espère arriver à la trouver à la bibliothèque rapidement mais ce n’est pas gagné !
peut-être qu’avec l’arrivée de la rentrée de Janvier, l’attention va se détourner un peu de celle de Septembre?
On lit de plus en plus de textes de ces auteurs africains qui sont partis aux USA (et parfois revenus) : c’est un point de vue nouveau et intéressant sur ces Noirs d’Amérique, qui sont bien différents de ceux issus de l’esclavage.
oui, tout à fait, c’est un regard africain et non afro-américain.
Joli billet ! ayant vécu aux USA, je connais bien le revers de la médaille et le rêve américain, se fait de plus en plus rare ! j’ai quand même le sentiment en lisant ton billet de retrouver le regard que l’on trouve dans Americanah entre les moeurs africaines et celles des Noirs américains .
dans Americanah, il y a aussi le regard d’une Africaine sur les Noirs américains, ce qu’il y a beaucoup moins dans ce roman-ci où c’est plutôt une comparaison entre les moeurs américaines (blanches) et les moeurs camerounaises.
le thème me plait bien et surtout la langue pittoresque.
un de plus sur ta LAL? 🙂
C’est un roman agréable à lire, qui écorne le rêve américain mais sans violence, c’est assez étonnant. Je me souviens avoir écrit qu’on ne sortait pas éreinté de ce roman, ce qui n’ai pas désagréable.
oui tu as raison, il y a des épisodes tristes mais ce n’est ni âpre ni violent
C’est un roman agréable en effet, ce fut une bonne surprise.
oui 2016 a été un bon cru en matière de premiers romans !