Underground Railroad – Colson Whitehead

Difficile de passer à côté d’« Underground Railroad » de Colson Whitehead ! On a en effet beaucoup parlé de ce livre qui a reçu non seulement le Prix Pulitzer mais aussi le National Book Award, et qui traite d’esclavagisme et de racisme dans l’Amérique du XIXe siècle.

Cora est une jeune fille esclave dans une plantation de coton de Géorgie. Un jour, un esclave récemment arrivé, Caesar, lui propose de s’enfuir avec lui pour gagner les états libres du Nord. Cora hésite, car elle sait que les chances de réussite sont faibles et que le châtiment sera terrible si jamais elle est reprise. Mais le souvenir de sa mère, Mabel, qui elle aussi s’est enfuie il y a des années, et n’a jamais été reprise, la pousse à accepter la proposition de Caesar. S’ensuit un long périple pour Cora, parsemé de violence et d’embûches, d’autant plus qu’elle est poursuivie par un chasseur d’esclaves, motivé par le fait de capturer la fille de Mabel, seul échec de sa carrière…

Difficile d’être esclave, mais encore plus difficile d’être une femme esclave. Loin de toute représentation manichéenne, Colson Whitehead décrit une plantation où la violence et le danger sont partout, jusqu’au village des esclaves. Jalousies, rivalités pour deux mètres carré de terre, agressions et viols, aucun endroit de la plantation n’est sûr pour une jeune fille, même quand les maîtres sont couchés, surtout quand personne n’est là pour la protéger. Et Cora est toute seule depuis la fuite de sa mère, une fuite devenue mythique car contrairement à la plupart des esclaves qui se sont échappés, Mabel n’a jamais été rattrapée. Caesar, l’esclave qui entraîne avec lui Cora, n’a pas grandi dans une plantation mais chez une vieille femme chez qui ses parents travaillaient comme domestiques. Il a notamment appris à lire, ce qui était très rare à l’époque pour les esclaves, et à faire de l’artisanat, et la vieille femme avait dit à ses parents et lui qu’elle avait fait les démarches pour qu’ils soient affranchis à sa mort. Malheureusement, ce n’était pas vrai, et à la mort de leur propriétaire, Caesar et ses parents furent vendus séparément et Caesar se retrouva esclave à la plantation. Mais ses compétences en artisanat lui permirent d’aller vendre sa production au marché local où il attira l’attention d’un homme blanc, partisan de l’abolitionnisme de l’esclavage, qui lui proposa de l’aider à s’enfuir.

Colson Whitehead

On suit donc la quête désespérée de Cora pour tenter d’atteindre les états libres du Nord, même si la Loi autorise quand même les maîtres à y récupérer leurs esclaves en fuite. Les Etats-Unis étant un état fédéral, les lois concernant les Noirs étaient donc différentes d’état en état. En Caroline du Nord, où Cora va passer un certain temps, cachée, les Noirs sont interdits de séjour. En effet, dans les états sudistes, le nombre de Noirs devenait très important par rapport au nombre de Blancs : parité en Louisiane ou en Géorgie, et même plus de Noirs que de Blancs en Caroline du Sud. Inquiets, les Blancs de Caroline du Nord avaient donc décidé de se débarrasser de leurs esclaves noirs pour les remplacer par des immigrants – blancs- venus d’Europe, et d’interdire leur état aux Noirs. Si Cora est aidée par plusieurs personnes, blanches ou noires, au péril de leur vie, le danger et le racisme sont partout, même derrière d’apparents bons sentiments : en Caroline du Sud, où Cora peut travailler et vivre à peu près tranquillement, on propose aux femmes noires de les stériliser « pour leur bien », cette stérilisation devenant obligatoire pour les mères ayant plus de deux enfants, toujours dans le but de limiter le poids démographique des Noirs – on exhibe également Cora et ses camarades dans des vitrines de musée où elles doivent reproduire des scènes de la vie d’un Africain. Même en Indiana, dans une communauté de Noirs instruits, où Cora peut enfin apprendre à lire et pense s’épanouir, le bonheur ne dure jamais longtemps.

« Underground Railroad » aurait pu aussi bien s’appeler « Nulle part sur la terre » : la lutte et la fuite de Cora sont sans fin. Quand ce n’est pas Ridgeway le chasseur d’esclaves qui est à ses trousses, ce sont les membres du KKK et les lois racistes qui sont après elle. Toute quiétude et tout optimisme semblent illusoires, et même au sein de la communauté noire,  il y a des dissensions, de la violence et de la duplicité. Colson Whitehead nous livre un roman à la fois très instructif au niveau historique mais aussi très accessible car l’histoire de Cora permet d’assimiler facilement des informations tout en s’identifiant à ce personnage qui malgré son caractère dur est attachant. Cora ne demande finalement pas grand chose, juste le droit de pouvoir enfin arrêter de fuir et vivre libre et en paix, sans épée de Damoclès au dessus de la tête, ce qui lui est continuellement refusé. Le peu de moments où elle peut souffler, travailler, s’instruire (la Caroline du Sud, l »Indiana) ne durent malheureusement jamais longtemps. Comment dans ces conditions faire confiance, se projeter, croire que le bonheur est possible?

Une seule chose a perturbé ma lecture de ce roman passionnant : le fait que Colson Whitehead ait fait de l' »Underground Railroad » un véritable chemin de fer. En effet, le réseau organisé pour aider les esclaves en fuite portait ce nom car il utilisait des codes de la terminologie ferroviaire (chefs de train, chefs de gare, stations, tickets…) mais ce n’était pas du tout un réseau ferroviaire. Cependant, quand j’étais petite, j’avais lu un livre publié chez Castor Poche, « Les chemins secrets de la liberté » (l’histoire de deux petites filles esclaves qui fuient une plantation du Mississipi pour essayer de joindre le Canada, aidées par le réseau clandestin) et je pensais qu’il s’agissait d’un vrai chemin de fer! A priori, Colson Whitehead pensait la même chose quand il était enfant, et c’est pour cela qu’il a rendu réelle cette métaphore dans le roman, mais le contraste de cet élément fantasmagorique avec le reste du récit, très réaliste, m’a rendue perplexe.

« Underground Railroad » de Colson Whitehead est un des romans incontournables de cette rentrée littéraire, tant pour ses qualités littéraires que pour sa portée historique. A lire ! 

Publié en Août 2017 chez Albin Michel, traduit par Serge Chauvin, 416 pages.

11e lecture de la Rentrée Littéraire de Septembre 2017.

5e participation au Mois Américain organisé par Titine.

                                                                                                                 

33 commentaires sur “Underground Railroad – Colson Whitehead

  1. Cet élément du chemin de fer qui relève presque du « réalisme magique » typique de la littérature sud américaine enrichit grandement le récit et vient en contrepoids du réalisme cru de l’histoire de Cora. Du coup j’ai trouvé ça très cohérent.

    1. D’accord avec Jérôme. Ce réseau «métaphorique», c’est la touche d’originalité du roman, qui le sort du roman historique réaliste.
      Le seul hic, c’est que certains lecteurs/lectrices qui ignorent tout du «réseau», pourraient prendre ça pour la réalité.

    2. le truc c’est qu’il n’est pas mis en avant que c’est une métaphore donc difficile pour les lecteurs qui ne connaissent pas cet élément de faire la part des choses entre invention et réalisme…

  2. Tu as raison difficile de passer à côté… je l’avais noté de sa sortie aux Etats-Unis, et je craignais de devoir longuement attendre sa traduction en français ..
    Il est déjà sur mes étagères, mais je crois que je vais attendre un peu avant de le lire, de peur d’en attendre trop…

  3. Je viens de le terminer ! J’ai adoré! Et honte à moi, j’ai cru que le réseau ferroviaire avatar existé avant que tu n’en parles! Mais pour moi ça ne change pas grand chose à mon ressenti. Dommage que l’auteur ne l’ait pas spécifié.

  4. Un roman d’une grande puissance et le fait qu’il fasse du chemin de fer une réalité ne m’a pas dérangée, bien au contraire, comme dit Jérôme, cela relève effectivement du réalisme magique, une métaphore bien utile pour supporter cette histoire difficile.

  5. Je suis décidément une des rares à ne pas avoir apprécié pleinement ce roman, avec ces personnages pas finis. On a déjà pu lire tellement de livres forts sur l’esclavage que je ne comprends pas bien ce qu’on trouve de si exceptionnel à celui-là…

    1. je suis curieuse de lire ton billet (il ne me semble pas que tu l’aies déjà publié?) – peut-être que la plupart des lecteurs (moi y compris) n’ont pas lu beaucoup de livres sur l’esclavage?

  6. J’ai bien évidemment envie de lire ce roman qui est couvert de louanges dans tous les articles que j’ai lu. Bon je n’arriverai pas à le lire avant la fin de mon mois américain mais ce n’est pas grave !

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