Interview de Nicolas Gaudemet pour son premier roman : « La Fin des Idoles »

J’ai rencontré Nicolas Gaudemet au Forum Fnac Livres en Septembre dernier, alors qu’il était encore Directeur du Pôle Culture de la Fnac. Il m’avait confié qu’il avait écrit un roman, sur le point d’être édité… j’ai eu le plaisir de pouvoir lire « La Fin des Idoles » en avant-première début Janvier.

Paloma est une jeune bimbo boulimique et avide de célébrité. Dans le cadre d’une émission de télé-réalité, elle rencontre Lyne Paradis, une neuroscientifique. Celle-ci se donne pour mission de la sauver, en utilisant des méthodes non conventionnelles pour réguler son appétit et son désir d’attention et de notoriété. Cela déclenche le courroux de Gerhard Lebenstrie, un psychanalyste très médiatisé qui souhaite lui aussi traiter Paloma, mais avec sa propre méthode d’analyse…

« La fin des idoles » est un roman à la fois dense et accessible. Accessible car il a pour thèmes des problématiques contemporaines auxquelles nous faisons face au quotidien : connexion permanente, omni-présence des marques, des médias et des réseaux sociaux…et insatisfaction chronique. Mais aussi dense, car le traitement de ces sujets est ambitieux, Nicolas Gaudemet convoque neuroscience et psychologie comportementale dans ce roman choral résolument moderne, qui m’a fait par certains côtés penser à « Cortex » d’Ann Scott, une de mes lectures préférées de 2017. Le récit est frais, l’écriture est vive et (im)pertinente. C’est une critique acerbe de notre société du paraître, un roman bien ancré dans notre époque, que j’ai vraiment pris plaisir à lire.

Et comme « La fin des idoles » a éveillé ma curiosité et que je souhaitais en savoir plus sur sa genèse, j’ai proposé à Nicolas Gaudemet d’être le cobaye de ma première interview! Il a caché son inquiétude derrière un grand sourire et relevé le défi avec panache…

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Comment es-tu passé de Polytechnique à la télé-réalité?

Même si j’ai suivi des études scientifiques, j’ai toujours été attiré par la littérature, l’art, la création. Je m’intéresse également beaucoup aux médias, aux réseaux sociaux, à l’influence qu’ils ont sur nous. C’est ça que j’ai voulu explorer dans le roman, d’ailleurs les émissions mentionnées dans le livre ne sont pas que de la télé-réalité, il y a du coaching, des talk-show…mais on y parle aussi de Facebook, YouTube, SnapChat…et même Candy Crush!

Avant d’écrire le livre, tu t’intéressais déjà à la psychanalyse ?

C’est surtout la psychologie qui m’intéressait. Cela fait longtemps que je lis des ouvrages de ce domaine, de toutes les écoles: cognitive, comportementale, évolutionniste, analytique… Le marketing est de plus en plus dopé à la psychologie, afin de nous rendre accro à la télévision, aux réseaux sociaux comme Facebook, à certaines marques…Quand on voit le nombre d’heures que l’on passe à regarder la télé, à se mettre en scène sur Facebook, c’est complètement fou, ça fait peur ! D’ailleurs, « addict » est passé dans le vocabulaire courant, mais à la base cela désigne quand même une maladie…Quand on voit que des patrons de la Silicon Valley, même des gens qui travaillent chez Facebook, mettent leurs enfants dans des écoles qui interdisent les écrans, on se pose des questions…

Comme Patrick Le Lay qui déclarait qu’il vendait du « temps de cerveau humain disponible… »

…à Coca-Cola ! Oui c’est fou, déjà à l’époque (NDLR : 2004…), il envisageait le cerveau comme un produit. Et le neuro-marketing continue de se développer…Je décris d’ailleurs dans le roman une expérience réelle avec Pepsi et Coca-Cola justement qui montre comment le matraquage publicitaire peut nous manipuler… Tout ça a provoqué un déclic en moi et c’est l’une des raisons qui a conduit à l’écriture de ce livre. Je me suis amusé à imaginer cette idée iconoclaste : si on combattait le neuromarketing, les dérives des médias, grâce à leurs propres armes? C’est ainsi qu’est née Lyne, qui infiltre une chaîne de télévision pour tenter de faire imploser le système médiatique grâce aux neurosciences. Pour les besoins dramatiques et ludiques du roman,  j’avais besoin d’ une approche qui s’oppose frontalement à la démarche scientifique de Lyne, et c’est pour cela que j’ai choisi la psychanalyse, avec le personnage de Gerhard Lebenstrie. Je me suis donc beaucoup documenté sur la psychanalyse pour les besoins du livre, et pour que mon personnage se démarque de Lacan, et pour l’adapter aux médias, j’ai créé l’analyse lebenstrienne.

Et les électrodes ?

On utilise déjà les électrodes dans le domaine médical, dans la recherche, par exemple pour essayer de contrôler le mouvement des membres chez quelqu’un qui souffre de la maladie de Parkinson, ou pour tenter de soigner des addictions, des troubles du comportement alimentaire. Dans mon livre, Lyne utilise des électrodes pour réguler les pulsions, le désir, trouver son équilibre, arriver à une plus grande concentration… d’une certaine manière, elle essaie de retrouver grâce aux neurosciences une sagesse antique ancrée en nous depuis le bouddhisme, l’hindouisme, la philosophie et même la religion chrétienne. D’ailleurs mes personnages comparent l’effet des électrodes à celui de la méditation ou de la prière.

Mais ces électrodes ont aussi des effets négatifs, car le désir est aussi ce qui nous meut dans la vie…

C’est le cas chez Lyne, car c’est une révolutionnaire, presque fanatique. Il y a plusieurs raisons pour laquelle je l’ai nommée Lyne, dont l’une est que son prénom peut faire penser à Lénine, à Staline… Mais pour Paloma par exemple, les électrodes fonctionnent très bien, elle arrive à un bel équilibre.

Et toi, quelle est ta position vis-à-vis de cette société de médias ? Plutôt fascination ou plutôt répulsion ?

Les deux…bien sûr que je suis fasciné par cette société, par l’influence qu’elle a sur nous… je suis un enfant de la télé, je l’ai beaucoup regardée, adorée…j’y ai même travaillé ! (rires) Mais elle m’inquiète également…et surtout je suis fasciné mais pas vraiment heureux. On sait qu’il y a une vraie décorrelation entre audience et satisfaction, il y a de nombreuses émissions qui réalisent de très fortes audiences alors que leurs téléspectateurs se sentent un peu honteux, malheureux de n’avoir pas pu s’empêcher de regarder…on mesure un phénomène similaire pour Facebook, par exemple, qui apporte beaucoup mais peut aussi nous rendre déconcentrés et envieux…

Comment es-tu venu à l’écriture?

En fait j’écris depuis l’âge de neuf ans. Mon premier texte était une tentative enfantine d’écrire la suite des « Mémoires d’un Chasseur », le recueil de nouvelles de Tourgueniev, des histoires de chasse dans la steppe.

Heu…tu es en train de me dire que tu lisais Tourgueniev à 9 ans?

Oui, j’aime beaucoup la littérature russe, d’ailleurs à 10 ans j’ai lu « Crime et Châtiment » de Dostoïevski… ça a commencé à un Noël, j’avais demandé comme cadeau à mon grand-père une calculatrice. Il me l’a offerte mais il m’a demandé si je ne souhaitais pas également un cadeau moins scolaire, alors j’ai réclamé un dictionnaire français-russe! Mais j’ai lu Dostoïevski dans sa traduction française, pas en VO ! (rires)

Ensuite, j’ai écrit des poèmes, influencé par Jim Morrison, Patti Smith, Rimbaud, Verlaine, Lautréamont … certains ont été publiés plus tard dans la revue littéraire de Polytechnique. Et des nouvelles. Puis en classe prépa, j’ai écrit un petit roman sur un auto-stoppeur,  j’avais découvert la littérature beat ce qui me correspondait bien car à l’époque je voyageais beaucoup en stop, à la Dean Moriarty. Je l’ai envoyé à ma prof de français de l’époque pour avoir son avis….Elle ne m’a jamais répondu! Après toutes ces années j’attends encore la réponse de Mme Lereboulet! (rires)

Ensuite j’ai commencé à travailler et j’ai mis l’écriture entre parenthèses, jusqu’à ce que je découvre les ouvrages d’Aurélien Bellanger et d’Antoine Bello qui correspondent au type de littérature française que j’aime. Cela m’a donné le déclic pour m’y remettre. Il y a trois ans et demi, j’ai commencé à écrire « La fin des idoles ».

Comment es-tu arrivé à conjuguer écriture et vie professionnelle, surtout avec un travail à temps plein et des journées bien remplies?

Je me suis astreint à trois heures d’écriture par jour, une heure le matin et deux heures le soir. J’ai puisé dans l’énergie de Lyne et l’humour de Paloma pour me donner du courage!

Cela ne laisse pas beaucoup de place aux loisirs, aux vacances…

Je profitais aussi des vacances pour écrire. J’adore voyager (NDLR : même en Corée du Nord!) et certains voyages ont nourri mon livre, notamment ceux en Asie, à la fois pour l’influence du bouddhisme  – la méditation, la concentration, la prise de recul vis-à-vis du désir – mais aussi pour le rapport aux marques, aux logos, qui est bien plus fort là-bas qu’en Europe.

Comment as-tu écrit ce livre? Tu avais déjà une structure en tête?

J’ai d’abord créé mes personnages, puis la structure du livre avant de commencer à rédiger. Je me suis laissé porter par mes personnages, leurs émotions, leurs sentiments…On dit parfois que le romancier est comme Dieu, mais il n’a pas tous les pouvoirs, parfois les personnages n’en font qu’à leur tête ! (Rires) J’ai fait également beaucoup de repérages, afin que les scènes soient les plus réalistes possibles…ce qui m’a  attiré des ennuis! J’avais prévu dans mon roman une scène où un des personnages se rend au commissariat et trouve porte close. Je suis donc allé devant ce commissariat assez tard pour prendre des photos…et là un passant vient me voir et me demande ce que je suis en train de faire. Je n’aime pas trop qu’on me dérange quand je travaille, donc j’ai répondu sèchement: « ça vous regarde?!’ et là, il me colle sa carte d’officier de police sous le nez! J’ai bafouillé que j’écrivais un roman, mais il ne me croyait pas du tout, c’était juste après un attentat, il m’a pris pour un terroriste et m’a convoqué au poste!j’en ai profité pour lui demander qu’il me convoque au commissariat sous les Invalides, parce que j’y avais également prévu une scène…Et ça a marché!

Et pour le style? Je crois savoir que tu es un grand fan de séries?

Oui, je regarde beaucoup de séries, et cela a beaucoup influencé mon écriture. Je pense que les séries sont la plus grande concurrence du livre, qui n’a plus du tout le monopole du récit. Cela m’a inspiré pour le rythme, pour la choralité, j’avais vraiment envie que mon roman ait un souffle, un côté addictif similaire à celui d’une série.

Tiens, en parlant de séries, quels acteurs imaginerais-tu pour incarner tes personnages si ton livre était adapté sur grand ou petit écran?

Physiquement j’ai souvent imaginé Lyne telle Sharon Stone dans « Basic Instinct »…Pour Paloma, ce serait un mélange entre Loana, Nabilla, Zahia, mais aussi Brigitte Heilm  dans « Metropolis ». Elle a aussi un petit côté « Nana », l’héroïne de Zola. Gerhard, lui, est un mélange entre Gérard Miller, Jacques-Alain Miller, Lacan, Socrate et Shunsuke Hinoki, un personnage de l’écrivain japonais Mishima.

« La fin des idoles » sort le 2 Mars…es-tu déjà en train d’écrire un nouveau roman?

Pendant quelques mois je vais me concentrer sur la sortie de mon livre, sur sa promotion, sur les rencontres-dédicaces en librairie, en France et en Suisse. J’ai d’ailleurs quitté mes fonctions à  la Fnac pour m’y consacrer entièrement, et pour éviter les conflits d’intérêts. En parallèle j’écris un duetto (NDLR : une collection où « un auteur en raconte un autre » dirigée par Dominique Guiou, ancien rédacteur en chef du Figaro Littéraire) sur Mishima, qui est mon auteur favori. Et pour la suite, j’ai  deux idées de romans…

Merci à Nicolas Gaudemet de s’être prêté au jeu de l’interview avec sérieux mais bonne humeur!

« La Fin des Idoles » est publié chez Tohu-Bohu le 2 Mars 2018, 368 pages.

14e lecture de la Rentrée Littéraire de Janvier 2018.

19 commentaires sur “Interview de Nicolas Gaudemet pour son premier roman : « La Fin des Idoles »

  1. Voilà un entretien qui donne envie d’aller plus loin et de plonger dans le livre de cet auteur visiblement curieux de tout, très cultivé et brillant !
    A nous donner des complexes ! …Son roman est-il vraiment accessible à tous ?
    En tout cas, bravo pour ta première interview, très bien menée ! Continue !

    1. Bonjour Pauline, merci pour ce messages ???? Eva va sûrement répondre mais oui oui c’est accessible, des lycéens l’ont lu en qq jours ???? Il y a quelques passages techniques de psychanalyse mais vus à travers les yeux de Paloma, la starlette de télé qui n’est pas franchement une intello ???????? Ils ne sont d’ailleurs pas clefs pour l’intrigue, mais là pour la crédibilité et pour les lecteurs qui souhaitent approfondir. Et en prime, vous apprendrez plein de choses sur comment les medias ou les marques peuvent nous manipuler ????

  2. Très intéressant interview dans lequel on apprend plein de choses restées cachées si longtemps sur les enfances et la personnalité littéraire de Nicolas.
    Sur un autre site, la FNAC le met au niveau d’Amélie Nothomb et même du professeur au Collège de France et collectionneur de tableau, Jean Pierre Changeux.
    Bravo.
    Pierre.

    1. Merci Pierre pour votre commentaire! Je suis ravie que la lecture de cette interview vous ait permis de découvrir des facettes d’une personne que vous connaissez pourtant bien!

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