Il y a des romans que nous n’attendons pas et qui pourtant nous touchent. Je ne connaissais Justine Bo que de nom et j’ai lu « Ève Melville, Cantique » dans le cadre du prix Orange. En ce moment je lis, lis, lis de manière intensive, et j’ai besoin d’être touchée, happée, bousculée.
Tout de suite, j’ai été saisie par ce roman, par cette langue travaillée, heurtée, qui prend toute son ampleur quand on la lit à voix haute. Ève Melville est la propriétaire d’une maison à Brooklyn, dont elle a hérité : celle-ci avait été achetée par son arrière-grand-père Solomon, enfant esclave d’une plantation de Savannah en Géorgie, qui, après s’être enfui jusqu’à New York, a connu, à la force du poignet, une ascension assez incroyable pour un homme noir du tournant du XXe siècle.
Le jour où elle s’aperçoit que la maison voisine de la sienne a été peinte en noir, Eve s’effondre et frôle la folie. C’est pourtant une femme forte, qui s’est construite sur une histoire familiale douloureuse, envers et contre tout : le rejet de la société, le rejet de sa propre famille, les tourments de l’histoire américaine, les maux de l’époque contemporaine. C’est une femme, noire, homosexuelle qui vit librement et selon ses choix. Mais cette maison peinte en noir, symbole de la gentrification qui remet en cause son appartenance au quartier va la faire sombrer.
J’ai trouvé très fort ce portrait de femme en lutte perpétuelle pour sa liberté et son bonheur, très ancrée dans son époque tout en portant en elle des générations de douleurs. L’écriture est vraiment superbe et inventive, tout comme ce que nous propose Justine Bo dans ce roman original, aux accents métaphoriques et parfois oniriques. Si j’ai regretté que le personnage de Maria ne soit pas plus développé, j’ai vraiment été secouée par ce livre qui m’a sortie de ma zone de confort.
Une très belle découverte.
Publié chez Grasset en Janvier 2024, 216 pages.
écriture onirique ? j’ai toujours un peu peur mais tu sembles avoir beaucoup aimé
oui, c’est très particulier, mais une bonne surprise (alors que ce n’est pas vraiment mon genre habituel)