The Girls – Emma Cline

Décidément, cette rentrée littéraire 2016 est de toute beauté… « The Girls » d’Emma Cline est ma quatrième lecture, et c’est déjà mon 2e coup de cœur après « New York, esquisses nocturnes » de Molly Prentiss !

« The Girls » est l’un des deux romans de cette rentrée qui évoquent la Famille Manson, avec « California Girls » de Simon Liberati, objet de mon précédent billet. J’ai enchaîné ces deux lectures : la première est abordée sous un angle réaliste, avec les vrais noms des protagonistes et les faits réels, alors que la deuxième est une fiction qui s’inspire de cet épisode tragique. C’est Evie, de nos jours, qui nous raconte l’été de ses quatorze ans, en 1969, où tout a basculé.

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Emma Cline

L’adolescente se trouve plus ou moins livrée à elle-même durant cet été. Son père est parti vivre avec une femme beaucoup plus jeune, sa mère sort beaucoup, essayant de reprendre sa vie en main et de retrouver un compagnon, et elle s’est également fâchée avec sa meilleure – ou plutôt seule – amie Connie. Evie  croise plusieurs fois une jeune fille plus âgée qui la fascine complètement : de longs cheveux très noirs, des vêtements sales, une grande assurance – tout en elle respire la liberté. Un jour, Evie, ayant un problème avec son vélo, est aidée par un groupe de filles roulant dans un bus, dont cette fameuse Suzanne, qui l’emmènent avec elles dans le ranch où elles vivent toutes en collectivité. Evie, solitaire et encore dans l’adolescence, découvre un monde où l’on est toujours entouré et où l’on vit en se moquant des règles sociales : pas de couple, pas de relation parent-enfant, pas de travail, pas de salaire, pas de propriété, tout le monde couche avec tout le monde, tout le monde s’occupe (ou ne s’occupe pas) des enfants, les vêtements sont communs, on ne se lave pas ou très peu, et la nourriture est volée, trouvée dans les poubelles ou bien payée avec de l’argent extorqué. Evie fait également la connaissance de Russell, le chef de la communauté, un homme charismatique et vénéré par les filles, qui ambitionne de faire carrière dans la musique.

J’ai adoré « The Girls », que j’ai littéralement dévoré ! C’est un roman qui est narré à la première personne par Evie qui raconte, avec sa vision d’aujourd’hui, donc d’adulte, ce qu’il s’est produit durant ce fameux été 1969. Très vite, on sait que ce ne fut pas seulement un « Summer of Love », mais que cette histoire d’amitié et de liberté a sérieusement dérapé : un drame épouvantable s’est produit, avec une telle résonance qu’on en parle encore aujourd’hui, quarante ans après les faits. On alterne les époques, 1969 donc, et de nos jours, lorsque Evie, adulte toujours hantée par le drame, solitaire et angoissée, habite chez un vieil ami et reçoit la visite surprise du fils de celui-ci, un jeune homme d’une vingtaine d’années au comportement assez déviant, et de sa petite amie, une adolescente un peu paumée.

Le livre est un magnifique roman d’apprentissage. Evie est une adolescente qui n’a pas vraiment de modèle dans la vie. Ses parents se comportent de façon immature, son père en vivant avec une très jeune femme, sa mère en enchaînant les petits amis intéressés et les ateliers de développement personnel et elle se rend compte que sa meilleure amie est une fille finalement assez médiocre et sans véritable horizon. Durant cette époque propice à la contestation, où l’on explore des modes de vie nouveaux, où l’on repousse les limites, où l’on remet en cause les modèles établis, la rencontre avec Suzanne et sa communauté est un véritable bol d’air frais. Evie se met à passer de plus en plus de temps au ranch, disant à sa mère rendue distraite par sa nouvelle relation amoureuse qu’elle est chez son amie Connie – l’adolescente réservée découvre une vie sauvage qui n’a rien à voir avec la banalité de son quotidien, une porte vers l’âge adulte – mais une porte dangereuse : sexualité, drogues, risques et violence. 

Evie, comme toutes les filles, est fascinée par Russell, le « gourou », mais c’est surtout à cause de son attirance pour Suzanne qu’elle fréquente le ranch et repousse ses limites. Curieuse fille que cette Suzanne dont on ne sait jamais vraiment ce qu’elle pense. Est-elle, elle aussi, attirée par Evie ? Cherche-t-elle à la protéger ou l’utilise-t-elle? Ce personnage est extrêmement complexe, fort et intriguant. Le personnage d’Evie est également très riche, partagée entre la rébellion adolescente et une maturité d’enfant unique solitaire. Le fait de connaître ses réflexions, ses peurs, ses envies, ses analyses, lui donne énormément de profondeur et de densité, et c’est un personnage auquel on peut facilement s’attacher et s’identifier puisqu’elle est à la base une adolescente banale qui va se retrouver malgré elle mêlée à une situation exceptionnelle. Même Evie adulte est un personnage réussi et très bien incarné, grâce au talent d’Emma Cline pour, un peu comme Elena Ferrante, décrire de façon simple et évidente des pensées et sentiments complexes. L’auteure a une très bonne plume, quoiqu’un peu trop littéraire parfois à mon goût – je ne dirais pas ampoulée mais certaines formulations sont d’un niveau soutenu qui peut sonner de façon un peu étrange, et elle est très forte pour créer des atmosphères de tension, où l’on sent que tout peut très facilement basculer, que ce soit en 1969 ou dans le huit-clos contemporain entre Evie et ses visiteurs inattendus, Julian, Sasha et l’ami de ceux-ci.

« The Girls » d’Emma Cline est un premier roman impressionnant, marquant, touchant. L’auteure explore intelligemment la période de l’adolescence, ce moment de mutation personnelle ici couplé avec une mutation de la société. Un vrai  coup de cœur, un livre aussi beau que sa couverture ! 

Publié en Août 2016 aux Editions de la Table Ronde, traduit par Jean Esch, 336 pages.

4e lecture de la Rentrée Littéraire 2016 et 4e participation au Mois Américain 2016.

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34 commentaires sur “The Girls – Emma Cline

  1. J’avoue que j’étais un peu sceptique, aussi bien sur ce titre que sur celui de Liberati (que tu as chroniqué aussi, d’après ce que j’ai vu, j’irai lire ton avis ensuite..), mais à force de lire des critiques élogieuses, j’ai bien envie de lire les deux… malgré le fait qu’ils aient choisi un sujet racoleur, ils ne semblent pas tomber dans les pièges du genre !

  2. Evidemment, après ce que tu m’en avait dit, je m’attendais bien à un billet aussi enthousiaste ! Tu donnes franchement envie, et pourtant le sujet ne m’attire guère a priori. Il faut dire aussi que tu as employé la petite formule magique : « roman d’apprentissage » ! Et puisque celui-ci est formidable, comment résister ?

    1. C’est vrai que tu m’as rencontrée alors que je ne l’avais pas encore fini, mais ça sentait déjà le coup de coeur 🙂
      Je pense qu’il faut vraiment que tu le lises !

  3. Je ne trouve pas du tout ce roman racoleur, d’ailleurs il m’a fallu du temps pour associer l’histoire de cette ado au fait divers de 1969. Tout est bien axé sur l’histoire d’Evie, sa fascination surtout pour suzanne et les autres. Bonne idée cette narration des décennies après. je précise que j’ai lu ce bouquin tranquillement bien avant d’en avoir entendu parler par les presse ou autre. Et il n’est pas sûr que je lise celui de Liberati.

    1. C’est super de pouvoir lire un roman sans aucun a priori, positif ou négatif – et effectivement, le fait divers n’est pas le sujet du roman, il est évoqué mais le vrai sujet est l’histoire d’Evie, et cet été qui va changer sa vie.

    1. C’est inspiré de l’affaire Manson mais le coeur du livre est en fait un roman d’apprentissage et un roman sur l’adolescence…Mais je ne peux que t’inciter à lire « New Yors Esquisses Nocturnes » 🙂

  4. Je suis entièrement d’accord avec ton avis. J’ai été bluffée par la maîtrise d’Emma Cline et par son analyse fine et pertinente de l’adolescence et des mécanismes d’attraction, de fascination d’une secte. C’est vraiment un premier roman excellent et très impressionnant.

  5. Je vois que ce roman rencontre un véritable succès. J’ai tout comme toi adoré ce roman puissant et saisissant même si au vu du thème j’ai du mal à lui coller l’étiquette de coup de cœur. Quant au style littéraire il ne m’a pas gêné j’ai trouvé à l’écriture d’Emma Cline une poésie « glauque » qui, pour moi en tout cas, en renforcé l’intensité de ce roman.

    1. Le gourou est un personnage périphérique, c’est vraiment Evie qui est le centre de ce livre..;et oui, c’est à mes yeux un indispensable, voire même L’Indispensable de cette rentrée littéraire

      1. Verdict : je l’ai littéralement dévoré. Quel talent ! Comme toi, j’ai cherché à comprendre Suzanne, ce personnage est insaisissable mais fascinant. L’Indispensable de cette rentrée, je suis d’accord !

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