Un barrage contre le Pacifique – Marguerite Duras

Comme vous le savez, je lis très peu de classiques, même des classiques du XXe siècle, et je n’avais encore jamais lu de livres de Marguerite Duras! C’est donc à l’occasion du Bibliomaniacs de Juillet que j’ai sauté le pas et que j’ai lu mon premier Duras, « Un barrage contre le Pacifique ».

Ce roman nous emmène en Indochine dans les années 30, dans une famille de colons français. La mère, qui est veuve, a investi toutes ses économies dans l’achat d’une concession. Mais les plantations sont invariablement détruites par les inondations provoquées par la Mer de Chine. La mère a réussi à fédérer les paysans locaux pour construite avec elle un barrage censé protéger les cultures, mais celui-ci s’est rapidement effondré. La mère se retrouve donc surendettée, sans aucune possibilité de rentrer dans ses frais, ou d’améliorer sa condition : quitter sa concession et son bungalow serait comme laisser derrière elle tout son patrimoine et tous ses rêves. Ses enfants, Joseph 20 ans et Suzanne 17 ans, grandissent dans la pauvreté, sans aucun espoir. Ils habitent dans un endroit isolé, où il ne se passe rien, où les journées sont monotones, où il n’y a pas de perspective d’avenir. Les seules échappatoires de Joseph sont son fusil pour aller à la chasse, sa vieille voiture déglinguée, et son phonographe – et aussi de brèves étreintes avec le peu de femmes disponibles dans le coin. Suzanne, elle, rêve qu’un homme riche l’emmène loin d’ici. Alors elle reste pendant des heures assise au bout de la propriété, près de la grande route, en se disant que peut-être une voiture s’arrêtera pour elle. Un jour, lors d’une rare sortie dans la petite ville la plus proche, un jeune homme riche repère Suzanne. La famille voit en lui le pigeon qui va peut-être leur permettre de rembourser leurs dettes et de commencer une nouvelle vie.

« Un barrage contre le Pacifique » est un roman fascinant à deux égards : le premier, c’est qu’il montre une vision du colonialisme assez différente des images d’Epinal. Ici, point de Français fortunés, habillés tout de blanc et éventés par un petit indigène à pagne : les Français vivent ici dans la misère, dans un village où les enfants meurent régulièrement de malnutrition et de maladie, et sont à la merci des magouilles de l’Administration française qui les a ruinés. Difficile de s’en sortir de manière propre – pour survivre, deux options : le trafic, ou quand on est jeune et beau, trouver une personne riche qui paiera les factures. Et c’est ce deuxième axe qui est étudié dans le roman à travers la famille. L’arrivée de Monsieur Jo qui tombe amoureux de Suzanne montre une porte de sortie, la possibilité de rembourser les dettes et d’enfin pouvoir partir du village.

« Un barrage contre le Pacifique » nous présente des personnages qui ne sont absolument pas attachants, mais auxquels on finit quand même par s’attacher, parce que Marguerite Duras les décrit avec beaucoup de talent, et une psychologie très fine. Même s’ils agissent parfois en-dehors de la morale, il est difficile de les juger, car on comprend pourquoi ils se comportent ainsi. La mère est obsédée par le fait de pouvoir rembourser ses dettes et elle agit envers ses enfants avec beaucoup d’ambivalence : accrochée au passé, elle souffle le chaud et le froid, poussant ses enfants à mal se comporter pour que leur situation s’améliore tout en leur reprochant leurs actions. Les enfants, eux, se heurtent constamment à un mur, que ce soit au village, ou à la grand ville : même dans ce lieu pourtant plein d’opportunités, ils n’arrivent pas à partir, comme s’ils étaient aimantés à la terre de leur concession. Marguerite Duras a réussi à créer des personnages sans manichéisme, qui peuvent déstabiliser par leur froideur – Suzanne, par exemple, est bien loin de l’adolescente romantique à laquelle on pourrait s’attendre, compte tenu de son âge – mais qui arrivent à être touchants, notamment par leur propension à ne pas pouvoir vraiment se séparer.

« Un barrage contre le Pacifique » de Marguerite Duras est un roman que je suis ravie d’avoir lu. Un livre marquant porté par un angle original sur le colonialisme, et par une famille aussi troublante que fascinante. A lire absolument!

Disponible en poche chez Folio, 364 pages.

16 commentaires sur “Un barrage contre le Pacifique – Marguerite Duras

  1. Tu me donnes envie de relire ce livre qui m’avait fasciné quand je l’avais lu, j’étais adolescente et je m’étais beaucoup « vu » dans le personnage de Suzanne, j’avais beaucoup ressenti grâce à ce livre, surtout la misère et la relation mère/fille. Et puis l’histoire d’amour assez malsaine en sommes car je ne pense pas que c’était un véritable amour, plus une relation arrangée pour survivre et s’enfuir de la pauvreté. En tout cas j’aimerai savoir ce que je pense maintenant de ce livre, j’ai grandi et je n’aurai certainement pas la même vision.

    1. oui ce livre est tout à fait fascinant ! par contre, il n’y a pas d’histoire d’amour : Mr Jo est amoureux de Suzanne, mais dès le début c’est tout à fait clair que Suzanne ne l’aime pas, elle entretient une sorte de relation avec lui pour obtenir des cadeaux et assez d’argent pour aider sa famille, mais elle ne lui cède pas car il la dégoûte

  2. C’est intéressant de lire ton avis, tu me donnerais presque envie… Mais j’ai buté trop souvent sur ce texte : Duras n’est pas du tout un auteur pour moi ! Son roman L’amant est le seul que j’ai réussi à finir et que j’ai trouvé réellement envoûtant…

  3. je n’ai jamais lu Duras mais j’ai adoré le film l’Amant et j’ai vu plusieurs reportages sur son enfance très difficile et pauvre – loin du cliché du colon riche propriétaire. Un jour je la lirai probablement !

  4. Marguerite Duras et moi, c’est une belle histoire d’amour, bien que je n’aie pas lu tous ses romans, dont celui-ci (et pourtant il est dans ma PAL, shame on me).
    Mon préféré reste Hiroshima mon Amour (qui est le scénario du film d’Alain Resnais je crois). Tu l’as lu ?

    1. ben non, vu qu' »Un barrage contre le Pacifique » est mon premier et seul et unique! on m’a fortement conseillé de lire « l’Amant », je note donc également celui-là (pas vu le film non plus d’ailleurs…)

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