Journal (1942-1944) – Hélène Berr

J’ai lu le Journal d’Hélène Berr lorsqu’il a été publié en 2008…j’avoue un peu honteuse qu’à l’époque, je n’avais pas accroché à ce récit que j’avais trouvé un peu futile (!)… En Novembre 2018, avec les Bibliomaniacs, nous avons enregistré notre podcast littéraire mensuel avec Philippe Jaenada qui nous a donc proposé plusieurs titres pour l’affiche, et parmi eux, ce fameux Journal. Il n’a finalement pas figuré dans les trois livres que nous avons retenus, dont « Jacques le Fataliste » sur lequel je me suis endormie… j’en ai donc profité pour relire le Journal d’Hélène Berr, et j’ai bien fait car mon avis sur ce document a été aux antipodes de ce que j’en avais pensé il y a dix ans!

Le journal débute en avril 1942, alors qu’Hélène Berr a 21 ans. La jeune femme est parisienne et vient d’une famille juive bourgeoise et aisée – son père est polytechnicien. Elle est étudiante en anglais et a pour objectif de passer l’agrégation. Dans les premières entrées du Journal, la guerre est bien sûr présente, mais semble un peu lointaine. La vie d’Hélène reste relativement légère dans son milieu parisien privilégié, elle parle de ses études, des sorties avec sa famille et ses nombreux amis, de sa pratique de la musique, de son fiancé, d’un autre jeune homme qui lui plait…Deux événements vont être de grands chocs dans la vie: le port obligatoire de l’étoile jaune, puis l’arrestation de son père qui va être envoyé à Drancy (il sera libéré ultérieurement, grâce au paiement d’une rançon par ses employeurs).

Hélène Berr met son Journal en pause … lorsqu’elle le reprend huit mois plus tard, le ton a complètement changé. Le temps des garden parties est loin, Hélène ne peut pas se présenter à l’agrégation en raison des lois anti-juives, et elle devient bénévole dans une association qui recueille des enfants juifs dont les parents sont morts ou déportés. Si l’espoir subsiste dans les entrées de son journal, le pessimisme s’installe. Cependant Hélène Berr ne s’inquiète pas pour elle-même, mais pour les autres : sa famille, ses amis, les enfants dont elle s’occupe…au fur et à mesure que le temps passe, elle prend néanmoins conscience qu’elle va sans doute mourir. Elle confie alors son journal qui se termine par « Horror!Horror!Horror! » à sa cuisinière, qui n’est pas juive, pour que celle-ci le remette à son petit ami. La jeune femme est arrêtée avec ses parents à leur domicile en Mars 1944, et envoyée à Auschwitz et Bergen-Belsen. Elle y mourra cinq jours avant la libération du camp, battue à mort par une gardienne car, atteinte du typhus, elle n’arrivait pas à se lever.

Je ne comprends vraiment pas comment j’ai pu trouver cet ouvrage futile il y a 10 ans (alors que j’avais à peu près le même âge qu’Hélène Berr…). Si la jeune femme traverse de grandes épreuves, elle ne s’apitoie pas sur son sort, alors que son Journal serait tout à fait l’endroit pour le faire. Au contraire, elle fait preuve d’altruisme et s’implique auprès de son entourage et dans l’association qui vient en aide aux enfants…

La plume est magnifique, les entrées du journal sont d’une richesse et d’une maturité sidérantes quand on pense que la jeune femme les a écrites entre 21 et 23 ans. Vraiment, je suis admirative de la culture et de l’intelligence qui transpirent à chaque page de ce journal. Hélène Berr est une excellente observatrice, elle analyse finement les situations et voit venir la menace avec beaucoup de lucidité. Son Journal n’est pas seulement un témoignage poignant, c’est aussi un document historique de grande valeur, et une oeuvre littéraire aboutie. Un véritable coup de cœur, que je vous conseille très fortement !  

Publié en 2007 aux éditions Taillandier, 300 pages, disponible en poche chez Points.

Retrouvez le podcast littéraire Bibliomaniacs enregistré avec Philippe Jaenada ici.

10 commentaires sur “Journal (1942-1944) – Hélène Berr

  1. Et dire que ce livre est dans ma bibliothèque depuis 2010 et que je ne l’ai pas encore lu !
    Quand tu écris que tu es admirative de la culture et de l’intelligence qui transpirent à chaque page de ce journal, j’ai immédiatement pensé à Hans et Sophie Scholl, membres du réseau « La rose blanche » groupe de résistants à Hitler qui ont distribué des tracts hostiles au régime nazi et se sont fait malheureusement prendre les pauvres innocents face à la machine impitoyable hitlérienne.
    Dans leur « Lettres et carnets », j’avais été étonné de la culture et de la maturité intellectuelle de ces jeunes de 20 ans (Sophie a été exécutée à 21 ans et son frère Hans le même jour à 24 ans).
    Quand ils se réunissent avec leurs amis, ils parlent de littérature, de philosophie : Sophie lit Saint Augustin et Hans Nietzsche.
    Ils lisent beaucoup, écrivent également tout le temps ; les écrans n’existent pas et l’écrit, la conversation occupent une place majeure dans leur vie.
    La nature, symbole de liberté, est également toujours présente ; dès qu’ils en ont l’occasion, ils se baladent en montagne, nagent, admirent le ciel et les fleurs du printemps ; leur adoration de cette nature rejoint leurs interrogations philosophiques.
    De bien belles personnes que Sophie, Hans et Hélène !

    1. figure-toi que j’ai le livre d’Hans et Sophie Scholl ! (je pense qu’il est chez mes parents, je vais essayer de le récupérer ce week-end…)
      Il faut absolument que tu sortes le Journal de ta bibliothèque ! 🙂

    2. J’ai vu le film inspiré de leur histoire (le seul film que j’ai vu en allemand alors que j’habitais le Tennessee) mais j’en ai gardé un souvenir très fort, j’ai aussi leurs écrits et oui ces jeunes gens étaient vraiment très intelligents. Je pense aussi qu’à l’époque, on ne restait pas chez ses parents si tard, l’adolescence se terminait à la majorité – notre rapport au temps était différent. Et puis, en revenant dans le contexte de l’époque, leurs préoccupations étaient forcément différentes des nôtres qui avons connu, comme le disait ma grand-mère, une jeunesse facile car sans la guerre… Eux, étaient nés pendant ou peu après la première guerre mondiale, puis la deuxième guerre et les prémices (les lois anti-juives) sont arrivées. Je n’ose même pas imaginer .. je viens de lire l’adaptation du journal d’Anne Franck qui m’a rappelé la visite de sa cachette que j’ai faite il y a longtemps. Elles avaient conscience de la mort …pas très gai tout ça ! en tout cas, je trouve très intéressant, Eva ton retour sur ta première lecture et cette deuxième !

      1. c’est vrai, tu as raison, le contexte était très différent à l’époque, les préoccupations étaient autres, notamment avec la guerre, on quittait ses parents jeune, on se mariait et on avait des enfants jeune donc il y avait sans doute beaucoup moins d’adulescents que maintenant !

  2. Ha quand même! Heureusement que tu l’as relu. Mais c’est vrai, on n’a pas toujours le même regard sur un livre, au fil du temps.
    Bref, c’est un magnifique et poignant incontournable

    1. contente que l’on t’ait donné envie de le lire ! on va essayer de faire des affiches plus mixées entre livres récents et livres plus anciens, livres dont on parle et livres plus confidentiels…

      1. A propos de livres plus anciens, en vidant les milliers de livres de la bibliothèque de mon père, je suis tombé sur « La question » d’Henri Alleg paru aux éditions de Minuit en 1958 ; il y raconte son interrogatoire en 1957 par les paras dans une prison d’Alger ; il est torturé (questionné) pendant un mois.
        Il croise Maurice Audin lui aussi emprisonné et torturé et assassiné ; il entend le bruit de la rafale qui l’abat en pensant que son tour va venir.
        Mais lui ne sera pas assassiné et pourra ainsi écrire ce témoignage.
        Ce livre se lit en une heure.

        1. ah, donc chez toi, on est fin lecteur de père en fils? 🙂 je connais « La Question » de réputation, mais je ne l’ai pas encore lu – merci pour cette recommandation, d’autant plus si le livre se lit en une heure !

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